.
Décision AMAZON
14
avril 2020
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
Ordonnance de Référé rendue le 14 Avril 2020
L’ UNION SYNDICALE SOLIDAIRES contre
AMAZON FRANCE LOGISTIQUE
EXPOSE DU LITIGE
La société Amazon France Logistique gère en France les
centres de distribution de la société Amazon, entreprise de
commerce électronique américaine dont le siège est situé à Seattle
aux Etats-Unis.
Elle employait, en février 2020, 6 459 salariés en contrats
à durée indéterminée (CDI) et contrats à durée déterminée (CDD), auxquels
s’ajoutaient 3 612 intérimaires, répartis de la manière
suivante :
— Un siège situé à Clichy (Hauts-de-Seine) ou CDG10,
employant une centaine de salariés
— 6 entrepôts :
- Saran (Loiret), ou ORY1 employant environ 1 744
salariés en CDI et CDD et 215 intérimaires, soit un total de 1 959
personnes,
- Montélimard (Drôme) ou MRS1, employant environ
778 salariés et 211 intérimaires, soit 989 personnes,
- Sevrey (Saône-et-Loire) ou LYS1, employant
environ 568 salariés et 158 – intérimaires, soit 726 personnes,
- Lauwin-Planque (Nord) ou LIL1, employant
environ 1 974 salariés en CDI et CDD et 800 intérimaires, soit 2774
personnes,
- Boves (Somme) ou BVA1, employant environ 593
salariés en CDI et CDD et 321 intérimaires, soit 914 personnes,
- Brétigny-sur-Orges (Essonne) ou ORY4, employant
environ 861 salariés en CDI et CDD et 1 907 intérimaires, soit 2 768
personnes.
La représentation du personnel est composée d’un comité social et
économique (CSE) par site avec des délégués syndicaux par
établissement et d’un comité social et économique central (CSEC)
avec des délégués syndicaux centraux.
De manière générale, les entrepôts sont organisés à peu près de la
manière suivante ;
— deux équipes de jour par roulement en 2/8,
— une équipe de nuit
— une equ1pe pour les samedi-dimanche et jours fériés
— une équipe pour les nuits du vendredi au samedi,
— une équipe pour les nuits du samedi au dimanche.
Les horaires sont similaires sur tous les sites.
A Saran par exemple ils sont habituellement fixés ainsi en semaine :
— Equipe « inbound » (réception)
o Matin 5h40 à 12h50
o Après-midi : 13h20 à 20h30
— Equipe « outbound » (expédition) :
o Matin : 5h55 à 13h05
0 Après-midi : 13h35à 20h45
o Soir : 21h10 à 4h30
L’Organisation mondiale de la santé a
déclaré, le 30 janvier 2020, que l’émergence d’un nouveau
coronavirus (covid-19) constitue une urgence de santé publique de
portée internationale. Considérant le caractère pathogène et
contagieux du virus covid-19, différentes mesures ont été prises par
le gouvernement français aux fins de freiner la propagation du
virus. Le 28 février 2020, le gouvernement a établi des
recommandations à l’attention des employeurs.
A compter du 17 mars 2020, le déplacement de toute personne hors
de son domicile a été interdit, à l’exception de
déplacements pour des motifs limitativement listés, dans le respect
des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en
évitant tout regroupement de personnes.
L’état d’urgence sanitaire a été
déclaré à compter du 24 mars 2020 .
Le ministère du travail, suite au passage au stade 3 de l’épidémie,
a émis les recommandations suivantes : « le
télétravail devient la norme pour tous les postes qui le
permettent. Si votre activité ne le permet pas, vous devez alors
garantir la sécurité de vos salariés en repensant l’organisation
du travail : – Les règles de distanciation et les gestes barrière
doivent impérativement être respectés – Limiter au strict
nécessaire les réunions : La plupart peuvent être organisées à
distance ; les autres doivent être organisées dans le respect des
règles de distanciation ; – Limiter les regroupements de salariés
dans des espaces réduits ; – Les déplacements non indispensables
doivent être annulés ou reportés ; – L’organisation du travail
doit être au maximum adaptée, par exemple mettre en place la
rotation des équipes. »
Plusieurs alertes pour Danger Grave
et Imminent (DGI) ont été déclenchées et des salariés ont fait
valoir leur droit de retrait, considérant que
les mesures prises par la société n’étaient pas suffisantes pour les
protéger, droits de retrait qui ont été contestés par la direction.
Des salariés ont déposé des requêtes devant les juridictions
prud’homales en vue d’obtenir la reconnaissance de la validité de
leur droit de retrait. Une
plainte a également été déposée pour « mise en danger de la vie
d’autrui » par des salariés.
Concernant les établissements de Saran, de Brétigny-sur-Orge, de
Lauwin-Planque, de Sevrey et de Montélimar, les
directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la
consommation, du travail et de l’emploi ont adressé,
le 3 avril 2020 et le 7 avril 2020 pour l’établissement de
Montélimar, à la société des
mises en demeure de mettre en œuvre des mesures
de prévention du risque COVID 19 telles que préconisées
par le Ministère de la Santé et le respect des principes généraux
de prévention conformément aux dispositions de l’article L. 4121-2 du
code du travail en mettant en place, une organisation et des
moyens adaptés,notamment les mesures barrières et gestes de
distanciation sociale.
La société a exercé des recours gracieux et hiérarchiques à
l’encontre de ces mises en demeure, à l’exception de la mise en
demeure du 7 avril 2020. Concernant l’établissement de Sevrey, la
mise en demeure a été levée le 9 avril 2020 suite à une
contre-visite effectuée le 8 avril 2020.
Concernant l’établissement de Brétigny-sur-Orge, suite à une
contre-visite effectuée le 8 avril 2020, l’inspecteur du travail a
adressé une nouvelle lettre d’observations le 10 avril 2020
comportant des demandes de rappel auprès des salariés des consignes
quant aux regroupements de personnes et sur les gestes barrière, des
observations sur la source de contamination que constituent les
portiques tournants à l’entrée, les distributeurs d’eau et les
machines à café et la transmission des protocoles de sécurité
établis avec les fournisseurs et clients majeurs.
Concernant l’établissement de Lauwin Planque, suite à une visite
effectuée le 8 avril 2020, l’inspecteur du travail a adressé une
nouvelle lettre d’observations le 10 avril 2020 attirant l’attention
de la société sur certaines situations de travail dans lesquelles
les règles de distanciation ne sont pas respectées et la nécessité
de mesures complémentaires concernant la désinfection des lieux et
le lavage régulier des mains et a demandé à l’établissement de
procéder à l’évaluation des risques psycho-sociaux dans le document
unique d’évaluation des risques professionnels.
Par ordonnance rendue le 8 avril 2020 à 13H15, l’Union syndicale
Solidaires a été autorisée à faire assigner devant la formation
collégiale du Tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé la
société Amazon France Logistique pour le 9 avril 2020 à 14 heures,
l’assignation devant être délivrée au défendeur avant le 8 avril
2020 à 16 heures, la société Amazon France Logistique devant
conclure avant le 9 avril 2020 à 10 heures. La juridiction a fait
savoir que la procédure allait se dérouler sans audience en
application des dispositions de l’article 8 de l’ordonnance 2020-
304 du 25 mars 2020.
Par acte d’huissier signifié à la société Amazon France Logistique
le 8 avril 2020 à 15h55, l’Union
syndicale Solidaires a fait assigner Amazon
France Logistique devant la formation collégiale du Tribunal
judiciaire de Nanterre statuant en
référé aux fins de voir ordonner à la S.A.S.
Amazon France Logistique :
— A titre principal, d’arrêter
l’activité des entrepôts en ce qu’ils
rassemblent plus de 100 salariés en un même lieu clos de manière
simultanément
— À titre subsidiaire, d’arrêter
la vente et la livraison de produits non essentiels,
c’est-à-dire ni alimentaires, ni d’hygiène, ni médicaux et donc de
réduire le nombre de salariés présents de manière simultanée de
telle sorte qu’il ne dépasse pas 100 salariés par entrepôt,
— et, ce, sous astreinte de 1 181 000 euros par jour et par
infraction, à compter des 24 heures du prononcé de l’ordonnance à
intervenir,
— Ce tant que n’auront pas
été mis en œuvre :
une évaluation des risques
professionnels inhérents à la pandémie de Covid-19
site par site des mesures de protection suffisantes et adaptées à
chaque site qui découleront de cette évaluation, des outils de suivi
des cas d’infection avérées ou suspectées et des mesures pour
protéger les salariés qui pourraient avoir été au contact des
personnes concernées.
Elle sollicite en tout état de cause,
de voir ordonner à la S. A.S. Amazon France Logistique:
— de procéder à une évaluation
des risques professionnels liés à l’épidémie de
covid-19 qui devra
être réalisée au regard des principes de l’article L4121-2 du code
du travail sur l’ensemble du territoire et des branches d’activité,
dans les 24h de l’ordonnance à intervenir, en relation avec les
services de santé au travail, les CSE compétents et les
organisations syndicales et devra
porter, sans que la liste soit limitative, sur :
— les conditions d’exercice des
métiers et emplois des activités de distribution de
produits essentiels à la vie de la Nation,
— le recensement des cas de
contamination avérés ou suspectés, et les
mesures qui ont été prises en conséquence pour l’ensemble du
personnel impacté (malade ou non)
— les risques psychosociaux liés à
l’épidémie de covid-19,
— de mettre en œuvre, au
regard des résultats de l’évaluation des risques professionnels liés
à l’épidémie de covid-19 telle qu’elle sera ordonnée, les gestes barrières et moyens de
protection adaptés à chacune des activités de
l’entreprise, geste barrières et moyens de protection qui pourraient
varier selon les métiers voire les postes occupés,
— Ce sous astreinte de 100 000 euros par jour et par infraction à
compter de 24 heures après le prononcé de la décision à intervenir
— Ordonner la transmission de l’ordonnance au personnel, permanent
et intérimaire, en place à la date du délibéré, dans les huit jours
suivant son prononcé et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour
de retard et par infraction,
— Se réserver la liquidation des astreintes,
— Condamner la S.A.S Amazon France Logistique à verser à l’Union
Syndicale Solidaires la somme de 4 800 euros TTC au titre de
l’article 700 du code de procédure civile,
— Condamner la SAS Amazon France Logistique aux entiers dépens.
Par conférence téléphonique rassemblant les magistrats de la
présente formation collégiale et les avocats de l’Union syndicale
Solidaires et de la société Amazon France Logistique le 9 avril 2020
à 10 heures, il a été débattu de la demande de renvoi de la société
Amazon France Logistique.
Le conseil de cette dernière a fait valoir qu’elle n’avait pas eu le
temps matériellement de préparer sa défense et qu’elle venait en
outre de prendre connaissance de l’intervention volontaire de
l’association les Amis de la Terre. Le conseil de l’Union syndicale
Solidaires s’est opposé au renvoi eu égard à l’urgence de la
situation. La présidente de la formation collégiale a indiqué aux
parties que si un renvoi était ordonné, il pouvait être envisagé un
renvoi au 10 avril 2020 à 14 heures, avec un délai supplémentaire de
24 heures donné à la société pour conclure. Le conseil de l’Union
syndicale Solidaires a indiqué qu’elle ne s’opposait pas au renvoi à
la condition que dans l’attente du renvoi la société cesse toute son
activité, ce à quoi s’est opposé le conseil de la société. L’Union
syndicale Solidaires a sollicité, si un renvoi devait être ordonné,
que le délai donné à la société pour conclure soit fixé au 10 avril
2020 à 19 heures, demande à laquelle le conseil de la société s’est
opposé.
Par email envoyé aux conseils le 9 avril 2020 à 11 heures 20 , les
parties ont été informées que l’affaire était renvoyée au 10 avril
2020 à 14 heures et que la société Amazon France Logistique devait
conclure et transmettre ses pièces avant le 9 avril 2020 à 19 heures
et l’Union syndicale Solidaires et l’Association les Amis de la
Terre avant le 10 avril 2020 à 10 heures, une audience se tenant par
un moyen dématérialisé.
Finalement, toutes les parties ont été avisées téléphoniquement par
la présidente de la formation collégiale le 10 avril 220 à 11 heures
et par courrier électronique à 11 heures 07 que la société Amazon
France Logistique et l’Association Les Amis de la Terre pourraient
conclure et transmettre leurs pièces avant le 10 avril 2020 à 13H30
et que les parties étaient convoquées à une audience le 10 avril
2020 à 15H30, qui aurait lieu en chambre du conseil conformément aux
dispositions de l’article 6 de l’ordonnance 2020-304 du 25 mars
2020.
A l’audience, l’Union
syndicale Solidaires, représentée par son
avocat, a sollicité le bénéfice de ses dernières conclusions
reprenant les demandes telles que figurant dans l’assignation.
L’Union syndicale Solidaires soutient
que dans chaque entrepôt d’Amazon, les équipes sont composées
au minimum de 500 personnes, ce
qui constitue une violation de l’article 2 de l’arrêté du 14
mars 2020 et de l’article 7 du décret du 23 mars 2020
et un trouble manifestement illicite, au sens de l’article 835 du
code de procédure civile. Elle fait valoir que l’interdiction
des rassemblements et activités de plus de 100 personnes
ayant pour finalité de ralentir la propagation du virus
Covid-19, sa violation cause un dommage imminent, au sens du même
article, tant aux salariés concernés qu’à leurs proches, aux clients
et à la population en général.
Elle expose que la société n’a
pas suffisamment évalué les risques et n’a pas pris les mesures
suffisantes face aux différentes situations à risque.
Elle sollicite les mesures tant au titre du non respect des
dispositions réglementaires précitées que des obligations de
sécurité et de prévention de la santé des salariés.
L’association les Amis de la Terre intervient volontairement à
l’instance en sollicitant des mesures identiques à celles
sollicitées par l’Union syndicale Solidaires et la condamnation de
la société Amazon France Logistique à lui payer la somme de 3 000
euros TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait notamment valoir qu’elle a intérêt à agir dès lors que la
préservation des êtres humains et donc des salariés, lesquels
peuvent être exposés du fait des modes d’organisation du travail,
fait partie intégrante de son objet associatif.
La société Amazon France Logistique sollicite que la demanderesse
soit déboutée de toutes ses demandes et condamnées aux dépens ainsi
qu’à lui payer la somme de 4 800 euros au titre de l’article 700 du
code de procédure civile.
Elle soulève l’irrecevabilité de l’intervention de l’association les
Amis de la Terre pour défaut d’intérêt à agir et à titre subsidiaire
le rejet au fond de ses demandes. Elle sollicite également la
condamnation de l’association les Amis de la Terre aux dépens et à
lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code
de procédure civile.
Elle fait valoir que le respect du contradictoire n’a pas été
respecté et qu’elle n’a pu bénéficier de son droit à la défense.
La société Amazon France soutient
que l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes ne
s’applique pas à la société ni à aucune activité économique ou
industrielle et
qu’en toute hypothèse, le seuil de 100 salariés se trouvant
simultanément au même endroit n’est jamais atteint
au sein des locaux de la Société grâce aux mesures mises en place
Elle fait valoir que le
document d’évaluation des risques de chaque site est remis à
jour depuis le début de l’épidémie au moins une
fois par semaine voire plus et que les mesures prises sont ensuite
répertoriées dans un document annexe et sont communiquées aux CSE
par emails.
Elle soutient qu’elle a mis en
place de très nombreuses mesures
visant à s’assurer que les salariés respectent
et soient en mesure de respecter les
gestes barrières, respectent et soient en mesure de
respecter les distances
sociales d’un mètre puis de deux mètres ainsi
que puissent bénéficier de mesures complémentaires afin de leur
assurer un environnement
sécurisé.
Elle expose qu’elle a également mis en
place des outils de suivi et des procédures permettant d’assurer
la sécurité de ses salariés ayant eu un contact étroit avec des
personnes contaminées par le Covid-19 ou suspectées de l’être.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se
référer à leurs conclusions écrites.
MOTIFS
1°) Sur la procédure
A/ Sur la recevabilité de l’intervention
volontaire de l’association Les amis de la Terre :
La société Amazon France Logistique soutient que l’action principale
n’a aucune visée environnementale alors qu’il s’agit de l’objet
social de l’association. L’association Les Amis de la Terre soutient
que ses statuts et plus précisément l’article 2 établissent un lien
indissociable entre les enjeux environnementaux et les enjeux
sociaux et qu’elle a rédigé avec le syndicat Solidaires un rapport
qui expose les revendications communes à l’encontre d’Amazon aussi
bien sur le plan social, écologique que fiscal.
L’article 31 du code de procédure civile énonce que l’action est
ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au
rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi
attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour
élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt
déterminé.
L’association Les Amis de la Terre est une fédération d’une
trentaine d’associations locales sur le territoire, qui est agréée
pour la protection de l’environnement. Son objet est d’agir pour la
protection des êtres humains et de l’environnement.
S’il est mentionné dans l’article 2 des statuts que la fédération
encourage la prise en compte des impératifs liés au progrès social,
cette action fait partie de l’objectif fixé par l’association
d’oeuvrer en faveur de la construction d’une société durable, ne
compromettant pas l’avenir des êtres humains et de l’environnement.
L’action engagée par l’Union Syndicale Solidaires est fondée sur les
articles L4121-1 et suivants du code du travail ainsi que sur
l’arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 23 mars 2020.
Le fait que l’association prenne en compte les « impératifs liés au
progrès social » et agisse en faveur de la « protection des êtres
humains » ne suffit pas à établir son intérêt à agir dans un litige
qui oppose des salariés à leur employeur relativement au respect par
ce dernier de son obligation de sécurité concernant la santé
physique et mentale des travailleurs.
Si l’objet de l’association lie la protection de l’environnement
avec celle des êtres humains, il ne résulte pas des statuts qu’elle
aurait vocation à agir dans le cadre de la défense des droits de
salariés indépendamment de tout litige lié à une atteinte
environnementale.
Or le présent litige ne porte ni sur le modèle économique de la
société ni sur la préservation de l’environnement mais uniquement
sur les obligations de la société, chargée de la gestion des
entrepôts, concernant les mesures nécessaires pour assurer la
sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs
dans le contexte d’épidémie de Covid 19 ainsi que sur le respect de
règles de santé publique édictées pour lutter contre une épidémie.
Par conséquent, l’intervention de l’association Les Amis de la Terre
sera déclarée irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
B/ Sur le respect du principe du contradictoire :
La société a disposé d’un délai de 27 heures pour répondre à
l’assignation soit la fin de journée du 8 avril 2020 à compter de 16
heures et la journée du 9 avril 2020 jusqu’à 19 heures. Les pannes
demanderesses ont eu un délai de 14 heures pour répondre, soit la
soirée du 9 avril 2020 à compter de 19 heures et la matinée du 10
avril 2020 jusqu’à 10 heures. La société a disposé ensuite de 3H30
pour répondre à ces conclusions et produire de nouvelles pièces.
Il convient d’observer que les parties demanderesses n’ont pu
répondre qu’oralement aux dernières conclusions de la société et que
cette dernière a eu la parole en dernier à l’audience.
Par ailleurs il y a lieu de souligner que les demandes du syndicat
et ses argumentations juridiques ne pouvaient être ignorées par la
société, dès lors que le présent litige porte sur des points qui ont
été évoqués depuis plusieurs semaines par la DIRRECTE lors des
procédures de contrôle, qui ont fait l’objet de communications
médiatiques par chacune des parties et qu’ils étaient également
évoqués dans le cadre des droits de retrait invoqués, des préavis de
grève ainsi que des procédures pour danger grave et imminent. En
outre eu égard à l’importance économique de la société, il ne
saurait être raisonnablement allégué qu’elle n’aurait pas disposé
des moyens juridiques et matériels pour faire valoir ses arguments
dans les délais impartis.
Il convient d’en déduire qu’au delà du principe du respect du
contradictoire, le principe d’égalité des armes a également été
respecté.
2°) Sur le fond :
A/ Sur la violation de l’interdiction des activités mettant
en présence simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou
ouvert :
L’émergence d’un nouveau coronavirus,
responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19, de
caractère pathogène et particulièrement contagieux, a
été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale
par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de
pandémie le 11 mars 2020. La
propagation du virus sur le territoire français a conduit le
ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à
prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus
strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le
législateur, par l’article 4 de la loi
du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid- 19,
a
déclaré l’état d’urgence sanitaire pour
une durée de deux mois à compter du
24 mars 2020.
L’article L3131-15 du code de la santé publique, issu de la loi du
23 mars 2020, dispose que dans les circonscriptions territoriales où
l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut,
par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de
la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :
« 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des
véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ;
« 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous
réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins
familiaux ou de santé ;
(…)
« 5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories
d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion,
à l’exception des établissements fournissant des biens ou des
services de première nécessité ; « 6° Limiter ou interdire les
rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute
nature ;
(…)
« 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure
réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule
finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à
l’article L. 3131-12 du présent code.
Dans ce contexte, le Premier
ministre, par un décret du 23 mars 2020, plusieurs fois
modifié depuis, pris sur le fondement de ce texte, et après avoir
prescrit l’observation, en tout lieu et en toute circonstance, de
mesures d’hygiène et de distanciation sociale, a
réitéré les mesures qu’il avait précédemment ordonnées
tout en leur apportant des précisions ou restrictions
complémentaires, notamment en son article 7, en ce qui concerne les
rassemblements, réunions ou activités, en interdisant
tout rassemblement, réunion ou activité de plus de 100 personnes
en milieu clos ou ouvert et en restreignant plus avant, en son
article 8, les activités des établissements recevant du public, les
établissements d’accueil des enfants, les établissements
d’enseignement scolaire et supérieur ainsi que la tenue des concours
et examens.
Les effets de ces mesures ont été prolongés par décret du 27 mars
2020. Ce décret ne prévoit
aucune autre limitation à la liberté d’entreprendre de sorte
qu’aucune violation de ces dispositions ne peut être retenue en
l’espèce.
Les demandes formées au titre de l’interdiction des rassemblements
de plus de 100 personnes seront par conséquent rejetées.
B/ Sur la violation de l’obligation de sécurité et de
prévention de la santé des salariés
Conformément aux dispositions
de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur doit
prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la
santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures
comprennent des actions de prévention des risques
professionnels, des actions d’information et de formation, la
mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
En application des articles L
412 1-3 et R 4121-1 à -4 du code du travail , l’employeur est
tenu d’évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et
la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans
un document unique et de mettre en œuvre les mesures de
prévention adéquates.
Ainsi que le précise la circulaire du DRT 2002-6 du 18 avril 2002, les représentants des salariés doivent
être associés à l’évaluation de ces risques. Il
convient de rappeler en outre que le comité social et économique a
pour mission de promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration
des conditions de travail dans l’entreprise et qu’il doit être
consulté en cas de modification importante de l’organisation du
travail.
L’employeur veille à
l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des
circonstances et tendre à l’amélioration des situations
existantes.
Suite au passage au stade 3 de l’épidémie, il n’est pas discuté que
les mesures nécessaires
au sens de ces dispositions sus-rappelées sont celles préconisées
puis rendues obligatoires par le gouvernement à
savoir notamment s’assurer que
les règles de distanciation et les gestes barrières sont
effectivement respectés au sein de l’entreprise
et que les réunions soient effectivement limitées au strict
nécessaire comme doivent l’être les regroupements de salariés dans
des espaces réduits et que
l’organisation du travail doit être au maximum adaptée.
Pour soutenir qu’il existe un trouble manifestement illicite et un
dommage imminent au sens prévu à l’article 835 du code de procédure
civile, le syndicat fait valoir en premier lieu que la société
n’aurait pas procédé à une évaluation de manière systématique des
risques liés à la pandémie pour chaque situation de travail et n’y
aurait pas associé les représentants du personnel.
En réponse, la société
soutient qu’elle a mis en œuvre l’intégralité des mesures ainsi
édictées tout en assurant la sécurité de ses salariés, de ses
partenaires de livraison, et de ses clients, et que les mesures
qu’elle a prises vont bien au-delà de ces règles
et qu’elle a modifié l’organisation du travail en fractionnant les
horaires de travail et de pause, en modifiant les horaires des
équipes notamment.
Elle soutient qu’elle procède
à pas moins de trois évaluations complètes par jour via :
— un contrôle de l’équipe « Safety » (sécurité)
— une visite quotidienne des sites
avec les représentants du personnel qui le souhaitent
— une réunion téléphonique avec
l’ensemble des fonctions supports de tous les sites
permettant une évaluation complète des risques et des mesures mises
en place.
Alors que la société expose avoir modifié l’organisation du travail,
après avoir procédé à une évaluation des risques, elle ne justifie
pas y avoir associé les représentants des salariés et en premier les
CSE des différents sites. A ce titre, elle se contente d’indiquer
que le document d’évaluation
des risques de chaque site est remis à jour depuis le début de
l’épidémie au moins une fois par semaine voire
plus, qu’elle a identifié 35 risques correspondant à l’ensemble des
zones ou des activités qui pourraient présenter des risques en
l’absence d’aménagement, que l’ensemble des documents d’évaluation
des risques sont mis à la disposition des membres du CSE qui est
informé de l’intégralité des mesures mises en œuvre au sein de la
Société, que depuis le 20 mars 2020, elle
procède à des visites de sites avec au minimum deux salariés
volontaires qui sont prioritairement choisis parmi les membres
des CSE, des CSSCT ou des organisations syndicales
lorsque ces derniers acceptent cette démarche, et qu’elle a convié
les organisations syndicales à une réunion de négociation portant
sur les mesures mise en œuvre dans le cadre de la gestion de la
crise le 19 mars 2020, que lors de cette réunion, et malgré le refus
catégorique des organisations syndicales de négocier toute mesure,
elle leur a exposé les premières mesures mises en œuvre et celles en
cours de mise en place et qu’à l’issue de cette réunion, elle a émis un « Plan d’action relatif
aux conditions de protection durant l’épidémie de Coronavirus »,
qu’elle a mis en place des
audits quotidiens sur le respect des règles en vigueur par
le biais de son équipe sécurité.
Elle ne verse aux débats aucun procès-verbal de réunions des CSE ni
du CSE central depuis le début de l’épidémie, indiquant à l’audience
qu’ils n’ont pas encore été formalisés, pas plus que les
compte-rendus des visites et des audits sus-évoqués.
Seuls sont produits, sans être précisément listés, des échanges de
courriels avec les membres des CSE ainsi qu’un certain nombre
d’ordres du jour de réunions de ces instances qui font ressortir, ce
que la direction ne conteste d’ailleurs pas, que les membres des
comités et les comités eux-mêmes ont uniquement été informés a
posteriori des mesures préventives prises et des procédures mises en
place ainsi que des modifications de l’organisation du travail.
Ne sont fournis ni le nombre des réunions de ces instances qui se
sont effectivement tenues ni la teneur des échanges qui ont eu lieu
lors de ces réunions ni même les documents présentés à l’appui de
cette information de sorte que la société ne rapporte pas la preuve
de l’information donnée et de son contenu.
Il y a dès lors lieu de considérer que les instances représentatives
du personnel n’ont pas été associées à l’évaluation des risques que
la direction aurait menée.
— Outre l’absence d’association des représentants du personnel à
l’évaluation des risques, le syndicat soutient que la société n’a
pas évalué de manière systématique et précise les risques liés à
l’épidémie pour chaque situation de travail.
L’Union syndicale Solidaires
soutient en premier lieu que
la société n’a pas mis en place d’outil permettant un suivi des
cas de salariés suspectés ou porteurs du virus, ni de process
définissant les actions à mener lorsque de tels
cas surviennent. Elle indique également qu’aucune
méthode n’a été présentée au personnel afin de déterminer quels
sont les salariés qui ont été au contact des personnes infectées.
Elle précise que le nombre de personnes dispensées d’activité suite
à une personne diagnostiquée est différent à Saran et à Brétigny.
La société soutient que depuis le 13 mars, un échange quotidien
d’information a lieu entre les équipes support (ressources humaines
, directeur d’établissement), les équipes sécurité et les équipes
préventions sur les éventuels cas de salariés confirmés ou suspectés
d’avoir contracté le Covid 19 et la mise en œuvre des procédures
adaptées.
Elle précise la procédure prévue lorsqu’une personne est détectée
positive au Covid 19 alors qu’elle était déjà présente sur site au
moment de l’apparition des symptômes et que cette procédure prévoit
notamment d’identifier les personnes qui ont eu des contacts étroits
avec le salarié infectée en interrogeant directement le salarié
concerné, en analysant les informations relatives à ses horaires et
ses activités et en visionnant les enregistrements de
vidéosurveillance correspondant aux heures de travail du salarié,
aux zones de travail et aux espaces collectifs.
S’il résulte des premiers contrôles de l’inspection du travail que la procédure mise en œuvre en cas de
contamination de salariés n’était pas suffisamment précise et
explicite et qu’il
convenait de renforcer l’information des encadrants de proximité
afin qu’ils puissent prendre toutes les mesures nécessaires
pour déterminer rapidement les salariés ayant eu des contacts
étroits avec les salariés contaminés et appliquer les mesures de
quatorzaine nécessaires, les
courriers en réponse de la société aux
observations de l’inspection du travail ainsi que les derniers
courriers de l’inspection du travail établissent
que des outils de suivi des cas d’infection avérés ou suspectés et
des mesures pour protéger les salariés qui pourraient avoir été en
contact avec eux ont effectivement été mis en place par
la société.
Les demandes fondées sur le défaut de recensement et d’outils de
suivi des cas de contamination seront par conséquent rejetées.
S’agissant du risque de contamination
à l’entrée de tous les sites, il est constant que tous les
salariés empruntent un portique tournant. Ce point a été confirmé
à l’audience par la direction. La société justifie le maintien de
l’utilisation de ce portique pour des motifs de sécurité liés au
risque incendie. Cependant l’inspecteur du travail, connaissance
prise de cette argumentation, dans sa lettre du 10 avril 2020,
faisant suite à la contre-visite effectuée le 8 avril sur le site
de Brétigny sur Orge, a réitéré sa recommandation soit de procéder
à l’enlèvement du portique, celui-ci constituant une source de
contamination importante, soit de maintenir la porte adjacente
ouverte. Il ajoute avoir observé que les salariés sont amenés à le
pousser avec leurs vêtements pour les plus vigilants et dans le
pire des cas avec leurs mains et qu’il paraît techniquement
impossible de procéder au nettoyage systématique de ces portiques
tournants après chaque passage sans générer de nouveaux risques :
augmentation de la file d’attente certaines heures et non respect
des mesures de distanciation sociale.
Si l’inspecteur du travail a levé la mise en demeure adressée
s’agissant du site de Sevrey, cette dernière décision ne fait pas
disparaître le risque de contamination à l’entrée dès lors que
chaque salarié de tous les établissements doit utiliser ce
portique tournant pour pénétrer dans l’établissement, le
respect des distances entre chacun et l’utilisation possible de
gel hydroalcoolique désormais fourni individuellement à l’entrée
à chaque salarié n’étant pas des mesures suffisantes.
Il convient en effet de relever que le nombre de salariés qui
prennent leur poste en même temps demeure élevé ( entre 150 et 450
sur les mêmes horaires) selon les déclarations faites à l’audience
par la direction de la société même si les horaires ont été
divisés entre 3, 4 voire 5 horaires différents. Cette dernière a
confirmé à l’audience qu’une solution alternative pour l’entrée
des salariés était à l’étude.
Ce risque n’a donc pas été suffisamment évalué.
A propos de l’utilisation des vestiaires, des moyens de
désinfection ont été mis à disposition en quantité suffisante pour
permettre aux salariés de nettoyer la porte et le système de
fermeture de l’armoire vestiaire, selon les dernières
constatations de l’inspection du travail indiquées dans sa lettre
du 10 avril 2020 après sa contre visite dans l’établissement de
Lauwin Planque. La société a finalement décidé à titre de mesure
de prévention de restreindre l’accès à l’usage des vestiaires aux
seuls salariés qui viennent au travail en transport en commun ou
en motocyclette. L’évolution des mesures ainsi prises pose des
difficultés au regard de l’obligation légale de l’employeur de
mettre à disposition des salariés des équipements collectifs
équipés d’armoires vestiaires, conformément aux dispositions des
articles R 4228-let suivants du code du travail, afin de répondre
notamment au respect des règles d’hygiène. Il a été constaté en
effet par le syndicat que des salariés déposaient leurs manteaux
les uns à côté des autres sur des rambardes à proximité de leur
poste de travail ce qui génère de nouveaux risques de
contamination. Par ailleurs, la solution d’autoriser les salariés
à apporter leur manteau sur leur poste de travail et à le déposer
sur place ne fait pas l’objet d’une formalisation dans un
document. En outre, l’accès au vestiaire du service maintenance ne
fait pas l’objet de cette formalisation comme l’a relevé
l’inspecteur du travail sur le site de Lauwin Planque le 8 avril,
alors qu’il s’agit d’un local spécifique, exigü au regard des
règles de distanciation sociale, rendant nécessaires également des
mesures pour assurer le respect effectif de ces règles. À cet
égard la seule présence d’ambassadeurs hygiène et sécurité à
l’entrée des vestiaires n’apparaît pas suffisante à assurer le
respect de ces règles dès lors qu’aucune directive n’est donnée à
ces salariés quant au nombre maximum de salariés pouvant occuper
simultanément les lieux.
Il découle de ces constatations les plus récentes que le risque de
contamination s’agissant de l’utilisation des vestiaires y compris,
à l’issue des réorganisations opérées, n’a pas fait l’objet d’une
évaluation suffisante.
A propos des plans de prévention avec les entreprises extérieures,
la société en a justifié pour certains d’entre eux y compris à
l’issue des contrôles et des mises en demeure de l’inspection du
travail. Ainsi, l’inspection du travail avait demandé le 1er avril
leur transmission après actualisation pour l’établissement de
Brétigny sur Orge ( nettoyage, restauration , maintenance et
transporteurs etc…). A l’égard des
transporteurs cependant, il n’est toujours pas justifié des
protocoles de sécurité prévus par les dispositions des articles R.
4515-4 et suivants du code du travail. Les opérations de
chargement ou de déchargement doivent en effet faire l’objet d’un
document écrit comprenant les informations utiles à l’évaluation
des risques de toute nature générés par l’opération ainsi que les
mesures de prévention et de sécurité à observer à chacune de ces
phases de réalisation intégrant les risques liés à l’épidémie du
Covid 19.
Des préconisations ont été émises également à ce sujet par
l’inspection du travail après la contre visite dans l’établissement
de Lauwin Planque à propos des mesures de désinfection des mains des
chauffeurs.
L’inspection du travail intervenue sur l’établissement de Montélimar
dans sa mise en demeure du 7 avril 2020 a maintenu sa demande
d’actualisation des plans de prévention avec les entreprises
extérieures (nettoyage, sécurité et les deux entreprises de travail
temporaire). Si la société communique la lettre adressée le 7 avril
en réponse à la lettre d’observation à la mise en demeure elle ne
justifie pas d’une réponse ni d’un recours à l’égard de cette mise
en demeure. Dans cette lettre en réponse, la société indique avoir
adressé par courriel du 6 avril les mises à jour de ces plans de
prévention pour les entreprises de nettoyage, de sécurité et les
protocoles de chargement et de déchargement actualisés. Il n’est pas
justifié de cet envoi tandis que l’inspection du travail a maintenu
sa demande d’actualisation dans la mise en demeure.
Par conséquent il n’est pas
justifié de l’intégralité des plans de prévention avec toutes
les entreprises extérieures.
S’il n’est pas contesté que la fréquence des nettoyage a été
augmentée, il n’est
cependant pas justifié avec
suffisamment de précision des protocoles mis en place.
Cela est le cas, par exemple, du nettoyage des chariots automoteurs
sur les quais de livraison ( cf lettre de mise en demeure de
l’inspection du travail du 7 avril pour l’établissement de
Montélimar). Dans la lettre en réponse de la direction de cet
établissement à la lettre d’observation préalable à la mise en
demeure, il est fait état des protocoles de nettoyage actualisés
mais l’annexe citée n’est pas communiquée.
Il en ressort que si des
mesures ont été prises et que l’organisation du travail a été
constamment modifiée pour répondre à l’évolution de la
situation, la société ne justifie pas que les nouveaux process
ont été formalisés. En outre, il
n’est pas justifié que ces changements, opérés sans concertation
préalable avec les représentants du personnel, auraient été
portés de manière appropriée à la connaissance des salariés.
Ce risque n’a donc pas été suffisamment évalué.
S’agissant des risques liés à la manipulation des colis qui passent
de main en main, la société répond que le syndicat ne justifie pas
que le contact des objets pourrait générer un risque pour les
personnes et en tout état de cause qu’il
n’existe pas de recommandations gouvernementales quant aux
mesures de désinfection des objets, les mesures barrières
permettant une protection efficace contre le risque de
contamination.
La société
reconnaît cependant le risque de contamination par le contact
d’objet en carton, puisqu’elle fait état dans l’une
des diapositives de l’outil de formation communiqué ( pièce 8 A) de la durée de présence du virus sur
différents types de supports dont le carton pendant 24 heures,
citant une étude d’une université américaine.
Elle justifie dans les DUERP avoir identifié le risque de
propagation microbien ou viral par des marchandises provenant
d’autres pays. Cette identification résulte du seul DUERP
entièrement lisible produit aux débats.
Le DUERP mentionne au titre des mesures à prendre : « néant aucun
risque puisque les cartons mettent plusieurs semaines avant
d’arriver ».
Il en résulte que le risque
de contamination tenant aux manipulations successives des objets
depuis la réception dans l’établissement à la
livraison par les chauffeurs, ne
fait pas l’objet d’une évaluation dans les DUERP. Le seul fait
d’affirmer que les gestes barrières permettent une protection
efficace ne répond pas à l’obligation d’évaluer préalablement
les risques avant de définir les mesures de
sécurité et de prévention nécessaires.
A propos de l’effectivité des mesures de distanciation sociale, on
peut observer qu’au cours de leurs contre-visites, les
inspecteurs du travail ont encore constaté des non respects
ponctuels entraînant des situations de travail rapprochées
par exemple entre conducteurs de transpalettes et opérateurs sur
postes fixes, entre salariés de l’entreprise et prestataires de
nettoyage dont le nombre a augmenté ( cf lettre de l’inspection du
travail du 10 avril pour le site de Lauwin Planque). Enfin les
constats d’huissier versés aux débats par la société ne sont pas
probants s’agissant du respect par les salariés des mesures de
distanciation. Ainsi, l’huissier dont la mission était de procéder à
toute constatation utile indique dans son constat établi le 8 avril
2020 (pièce 2 A), à propos de la photographie n° 57 qu’il constate
que les casiers ont été condamnés et que la traversée de la salle
des casiers a été organisée au moyen de caissettes afin
d’individualiser les flux, cette traversée étant à sens unique. Or,
on peut observer sur cette photographie la présence en arrière plan
de quatre personnes proches les unes de autres sans que le constat
n’apporte d’indication sur le respect ou non par ces dernières des
règles de distanciation sociale. De façon générale, il convient de
relever que la plupart des photographies annexées à ces constats
comportent un nombre très faible voire inexistant de personnels dans
les locaux de l’entreprise qui n’apparaissent pratiquement jamais au
premier plan, les constatations portant en réalité sur la seule mise
en place des mesures et notamment de la signalétique et la gestion
des flux et non sur leur respect par les salariés.
A propos des outils de contrôle, la société indique avoir affecté
350 salariés, ambassadeurs hygiène et sécurité, à une nouvelle
mission consistant à garantir le respect par les salariés des
mesures barrières et des consignes de sécurité et de prévention du
risque de contamination. Elle indique en outre que l’équipe sécurité
procède à des audits quotidiens sans en justifier. S’agissant de la
visite chaque jour avec état des lieux qui a été également mise en
place avec les représentants du personnel, elle ne communique pas
non plus les compte-rendus de ces visites. Selon le syndicat il
s’agit de documents établis unilatéralement par la société. L’absence
de communication de ces documents ne met pas la juridiction en
mesure de vérifier le caractère adapté des mesures mises en œuvre.
Or il appartient à la société de
justifier de l’effectivité y compris dans le temps des mesures
prises comme rappelé par les inspecteurs du travail dans
leur lettre d’observation du 10 avril 2020.
L’article L4121-1 du code du travail énonce,
parmi les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la
protection de la santé des travailleurs, l’existence
d’actions d’information et de formation.
Si la société justifie de la mise en
place de certaines mesures d’information et de communication, l’inspection du travail l’a néanmoins mise
en demeure de justifier d’une formation renforcée à l’attention
des personnels ( cf lettre de l’inspection du
travail du 3 avril à propos du site de Saran). Le dispositif de formation présenté
par la société en réponse à cette mise en demeure et déployé à
compter du 25 mars 2020, est cependant
insuffisant, en ce qu’ il
apparaît peu adapté à la mise en application à chaque poste de
travail. Ainsi aucune
formation particulière n’est dispensée sur l’emploi des gants, alors même qu’il est indiqué aux
salariés que ces gants peuvent servir de support au virus.
Dans ses conclusions la société a fait état de ce qu’elle déploie
actuellement une nouvelle campagne de formation et de
sensibilisation complémentaire rappelant les mesures de prévention
mises en place dans les sites à l’ensemble des salariés,
travailleurs temporaires et prestataires de services, ce dont elle
ne justifie pas.
Il en résulte que les mesures de
formation des personnels ne sont pas ni suffisantes et ni
adaptées au regard des risques élevés de contamination
liés à la nature de l’activité de l’entreprise.
Le syndicat expose que les
risques psycho-sociaux ne sont pas évalués dans les DUERP notamment
en lien avec le risque épidémique d’une part et d’autre part en
raison des réorganisations induites par les mesures mises en place
pour prévenir ce risque.
La société se contente
d’affirmer qu’elle a rempli son obligation, sans produire aucun
élément à l’appui de cette affirmation ainsi que
le souligne l’inspecteur du travail au sujet de l’établissement de
Lauwin Planque.
Il est en effet particulièrement
nécessaire que cette évaluation rende compte des effets sur la
santé mentale induits notamment par les
changements organisationnels incessants (modification des plages de
travail et de pause, télétravail, …), les nouvelles contraintes de
travail, la surveillance soutenue mise en place quant au respect des
règles de distanciation et les inquiétudes légitimes des salariés
par rapport au risque de contamination à tous les niveaux de
l’entreprise.
Il ressort de l’ensemble des pièces communiquées et des débats
d’audience que si la société
a effectué une évaluation des risques induits par l’épidémie du
virus Covid 19, cette dernière est insuffisante et la
qualité de celle-ci ne garantit pas une mise en œuvre
permettant une maîtrise appropriée des risques
spécifiques à cette situation exceptionnelle.
Par conséquent, la société
Amazon France Logistique a,
de façon évidente, méconnu son obligation de sécurité et de
prévention de la santé des salariés, ce qui
constitue un trouble manifestement illicite. Le non respect de cette
obligation rend également nécessaire de prévenir un dommage imminent
constitué par la contamination d’un plus grand nombre de salariés et
par suite la propagation du virus à de nouvelles personnes.
C/ Sur les mesures propres à faire cesser le trouble
manifestement illicite et à prévenir le dommage imminent
Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire et eu égard au
caractère hautement contagieux du virus, alors que l’épidémie
continue de se propager, que les services de santé demeurent
surchargés et que chaque personne est un vecteur potentiel de
transmission du virus, il
appartient à la société, de prendre, en vue de
sauvegarder la santé de ses salariés, des
mesures complémentaires de nature à prévenir ou à limiter les
conséquences de cette exposition aux risques.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il
y a lieu, afin de faire cesser ce trouble manifestement illicite
et pour prévenir ce dommage imminent, d’ordonner
conformément aux dispositions de l’article 835 du code de procédure
civile, à la société de
restreindre les activités de ses entrepôts à la
réception des marchandises, la préparation et l’expédition des
commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de
produits médicaux tant que la
société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les
représentants du personnel, une évaluation des risques
professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19
sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi que les mesures
prévues à l’article L 4121-1 du code du travail en découlant.
Afin d’assurer l’effectivité des mesures ordonnées, il convient
d’assortir cette décision d’une astreinte dont le montant doit être
proportionné aux moyens financiers de la société. Cette dernière ne
contestant pas l’affirmation du syndicat selon laquelle son chiffre
d’affaires réalisé en 2018 s’élevait à 431 263 800 d’euros, et était
en progression depuis, y compris pendant la période de confinement,
il apparait nécessaire afin d’assurer le respect de la présente
décision, de fixer le montant de cette astreinte
à la somme de 1.000.000
d’euros par jour et par infraction constatée.
D/ Sur les autres mesures sollicitées
La reprise de l’activité normale de l’entreprise étant subordonnée à
l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de
covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi qu’à la
mise en œuvre des mesures prévues à l’article L 4121-1 du code du
travail en découlant, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres
demandes présentées en tout état de cause par le demandeur ni
d’ordonner une astreinte spécifique pour s’assurer du respect de ces
obligations, les mesures provisoires ordonnées étant suffisamment
efficaces pour inciter l’entreprise à respecter ses obligations.
La présente décision est rendue publiquement. Il appartient par
conséquent aux parties d’en assurer la diffusion selon les modalités
qu’elles estiment nécessaire sans qu’il n’y ait lieu d’en ordonner
la transmission aux personnels.
Tenue aux dépens la société Amazon France Logistique versera à
l’Union Syndicale Solidaires la somme de 4.800 euros TTC au titre
des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Si
l’intervention de l’association Les Amis de la Terre est jugée
irrecevable, il n’est pas inéquitable de la dispenser de toute
condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure
civile .
Conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure
civile la présente décision est de droit exécutoire à titre
provisoire.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après débats en chambre du conseil
conformément à l’article 6 de l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020,
par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Déclarons
irrecevable l’intervention de l’association Les Amis de la
Terre,
Ordonnons à la S.A.S. Amazon France Logistique de procéder, en y
associant les représentants du personnel, à l’évaluation des
risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur
l’ensemble de ses entrepôts ainsi qu’à la mise en œuvre des
mesures prévues à l’article L 4121 du code du travail en découlant,
Ordonnons, dans l’attente de la
mise en œuvre des mesures ordonnées ci-dessus, à
la S.A.S. Amazon France Logistique dans les 24 heures de la
notification de cette décision de
restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules
activités de réception des marchandises, de préparation et
d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits
d’hygiène et de produits médicaux, sous
astreinte, de 1.000.000 euros par jour de retard et par infraction
constatée, passé ce délai et pendant une durée maximum d’un
mois, à l’issue de laquelle il pourra être à nouveau statué,
Nous réservons la liquidation de cette astreinte,
Condamnons la S. A.S. Société Amazon France Logistique à verser à
l’Union Syndicale Solidaires la somme de 4.800 euros TTC au titre
des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejetons les demandes de la S.A.S. Société Amazon France Logistique
sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamnons la S.A.S. Société Amazon France Logistique aux dépens,
Rappelons que la décision est de droit exécutoire à titre
provisoire,
Rejetons les autres demandes des parties.
Fait à Nanterre, le 14 Avril 2020.