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Décision AMAZON
14 avril 2020

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

Ordonnance de Référé rendue le 14 Avril 2020

L’ UNION SYNDICALE SOLIDAIRES contre
AMAZON FRANCE LOGISTIQUE
 
EXPOSE DU LITIGE
La société Amazon France Logistique gère en France les centres de distribution  de la société Amazon, entreprise de commerce électronique américaine dont le siège est situé à Seattle aux Etats-Unis.
Elle employait, en février 2020, 6 459 salariés en contrats à durée indéterminée (CDI) et contrats à durée déterminée (CDD), auxquels s’ajoutaient 3 612 intérimaires, répartis de la manière suivante :
— Un siège situé à Clichy (Hauts-de-Seine) ou CDG10, employant une centaine de salariés
—  6 entrepôts :
    - Saran (Loiret), ou ORY1 employant environ 1 744 salariés en CDI et CDD et 215 intérimaires, soit un total de 1 959 personnes,
    - Montélimard (Drôme) ou MRS1, employant environ 778 salariés et 211 intérimaires, soit 989 personnes,
    - Sevrey (Saône-et-Loire) ou LYS1, employant environ 568 salariés et 158 – intérimaires, soit 726 personnes,
    - Lauwin-Planque (Nord) ou LIL1, employant environ 1 974 salariés en CDI et CDD et 800 intérimaires, soit 2774 personnes,
    - Boves (Somme) ou BVA1, employant environ 593 salariés en CDI et CDD et 321 intérimaires, soit 914 personnes,
    - Brétigny-sur-Orges (Essonne) ou ORY4, employant environ 861 salariés en CDI et CDD et 1 907 intérimaires, soit 2 768 personnes.
La représentation du personnel est composée d’un comité social et économique (CSE) par site avec des délégués syndicaux par établissement et d’un comité social et économique central (CSEC) avec des délégués syndicaux centraux.
De manière générale, les entrepôts sont organisés à peu près de la manière suivante ;
— deux équipes de jour par roulement en 2/8,
— une équipe de nuit
— une equ1pe pour les samedi-dimanche et jours fériés
— une équipe pour les nuits du vendredi au samedi,
— une équipe pour les nuits du samedi au dimanche.
Les horaires sont similaires sur tous les sites.
A Saran par exemple ils sont habituellement fixés ainsi en semaine :
— Equipe « inbound » (réception)
o Matin 5h40 à 12h50
o Après-midi : 13h20 à 20h30
— Equipe « outbound » (expédition) :
o Matin : 5h55 à 13h05
0 Après-midi : 13h35à 20h45
o Soir : 21h10 à 4h30

L’Organisation mondiale de la santé a déclaré, le 30 janvier 2020, que l’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19) constitue une urgence de santé publique de portée internationale. Considérant le caractère pathogène et contagieux du virus covid-19, différentes mesures ont été prises par le gouvernement français aux fins de freiner la propagation du virus. Le 28 février 2020, le gouvernement a établi des recommandations à l’attention des employeurs.

A compter du 17 mars 2020, le déplacement de toute personne hors de son domicile a été interdit
, à l’exception de déplacements pour des motifs limitativement listés, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes.

L’état d’urgence sanitaire a été déclaré à compter du 24 mars 2020 .
Le ministère du travail, suite au passage au stade 3 de l’épidémie, a émis les recommandations suivantes : « le télétravail devient la norme pour tous les postes qui le permettent. Si votre activité ne le permet pas, vous devez alors garantir la sécurité de vos salariés en repensant l’organisation du travail : – Les règles de distanciation et les gestes barrière doivent impérativement être respectés – Limiter au strict nécessaire les réunions : La plupart peuvent être organisées à distance ; les autres doivent être organisées dans le respect des règles de distanciation ; – Limiter les regroupements de salariés dans des espaces réduits ; – Les déplacements non indispensables doivent être annulés ou reportés ; – L’organisation du travail doit être au maximum adaptée, par exemple mettre en place la rotation des équipes. »

Plusieurs alertes pour Danger Grave et Imminent (DGI) ont été déclenchées et des salariés ont fait valoir leur droit de retrait
, considérant que les mesures prises par la société n’étaient pas suffisantes pour les protéger, droits de retrait qui ont été contestés par la direction.
Des salariés ont déposé des requêtes devant les juridictions prud’homales en vue d’obtenir la reconnaissance de la validité de leur droit de retrait. Une plainte a également été déposée pour « mise en danger de la vie d’autrui » par des salariés.

Concernant les établissements de Saran, de Brétigny-sur-Orge, de Lauwin-Planque, de Sevrey et de Montélimar, les directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ont adressé, le 3 avril 2020 et le 7 avril 2020 pour l’établissement de Montélimar, à la société des mises en demeure de mettre en œuvre des mesures de prévention du risque COVID 19 telles que préconisées par le Ministère de la Santé et le respect des principes généraux de prévention conformément aux dispositions de l’article L. 4121-2 du code du travail en mettant en place, une organisation et des moyens adaptés,notamment les mesures barrières et gestes de distanciation sociale.

La société a exercé des recours gracieux et hiérarchiques à l’encontre de ces mises en demeure, à l’exception de la mise en demeure du 7 avril 2020. Concernant l’établissement de Sevrey, la mise en demeure a été levée le 9 avril 2020 suite à une contre-visite effectuée le 8 avril 2020.
Concernant l’établissement de Brétigny-sur-Orge, suite à une contre-visite effectuée le 8 avril 2020, l’inspecteur du travail a adressé une nouvelle lettre d’observations le 10 avril 2020 comportant des demandes de rappel auprès des salariés des consignes quant aux regroupements de personnes et sur les gestes barrière, des observations sur la source de contamination que constituent les portiques tournants à l’entrée, les distributeurs d’eau et les machines à café et la transmission des protocoles de sécurité établis avec les fournisseurs et clients majeurs.
Concernant l’établissement de Lauwin Planque, suite à une visite effectuée le 8 avril 2020, l’inspecteur du travail a adressé une nouvelle lettre d’observations le 10 avril 2020 attirant l’attention de la société sur certaines situations de travail dans lesquelles les règles de distanciation ne sont pas respectées et la nécessité de mesures complémentaires concernant la désinfection des lieux et le lavage régulier des mains et a demandé à l’établissement de procéder à l’évaluation des risques psycho-sociaux dans le document unique d’évaluation des risques professionnels.

Par ordonnance rendue le 8 avril 2020 à 13H15, l’Union syndicale Solidaires a été autorisée à faire assigner devant la formation collégiale du Tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé la société Amazon France Logistique pour le 9 avril 2020 à 14 heures, l’assignation devant être délivrée au défendeur avant le 8 avril 2020 à 16 heures, la société Amazon France Logistique devant conclure avant le 9 avril 2020 à 10 heures. La juridiction a fait savoir que la procédure allait se dérouler sans audience en application des dispositions de l’article 8 de l’ordonnance 2020- 304 du 25 mars 2020.

Par acte d’huissier signifié à la société Amazon France Logistique le 8 avril 2020 à 15h55, l’Union syndicale Solidaires a fait assigner Amazon France Logistique devant la formation collégiale du Tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé aux fins de voir ordonner à la S.A.S. Amazon France Logistique :
— A titre principal, d’arrêter l’activité des entrepôts en ce qu’ils rassemblent plus de 100 salariés en un même lieu clos de manière simultanément
— À titre subsidiaire, d’arrêter la vente et la livraison de produits non essentiels, c’est-à-dire ni alimentaires, ni d’hygiène, ni médicaux et donc de réduire le nombre de salariés présents de manière simultanée de telle sorte qu’il ne dépasse pas 100 salariés par entrepôt,
— et, ce, sous astreinte de 1 181 000 euros par jour et par infraction, à compter des 24 heures du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
— Ce tant que n’auront pas été mis en œuvre :
une évaluation des risques professionnels inhérents à la pandémie de Covid-19 site par site des mesures de protection suffisantes et adaptées à chaque site qui découleront de cette évaluation, des outils de suivi des cas d’infection avérées ou suspectées et des mesures pour protéger les salariés qui pourraient avoir été au contact des personnes concernées.
Elle sollicite en tout état de cause, de voir ordonner à la S. A.S. Amazon France Logistique:
— de procéder à une évaluation des risques professionnels liés à l’épidémie de covid-19 qui devra être réalisée au regard des principes de l’article L4121-2 du code du travail sur l’ensemble du territoire et des branches d’activité, dans les 24h de l’ordonnance à intervenir, en relation avec les services de santé au travail, les CSE compétents et les organisations syndicales et devra porter, sans que la liste soit limitative, sur :
— les conditions d’exercice des métiers et emplois des activités de distribution de produits essentiels à la vie de la Nation,
 le recensement des cas de contamination avérés ou suspectés, et les mesures qui ont été prises en conséquence pour l’ensemble du personnel impacté (malade ou non)
— les risques psychosociaux liés à l’épidémie de covid-19,
— de mettre en œuvre, au regard des résultats de l’évaluation des risques professionnels liés à l’épidémie de covid-19 telle qu’elle sera ordonnée, les gestes barrières et moyens de protection adaptés à chacune des activités de l’entreprise, geste barrières et moyens de protection qui pourraient varier selon les métiers voire les postes occupés,
— Ce sous astreinte de 100 000 euros par jour et par infraction à compter de 24 heures après le prononcé de la décision à intervenir
— Ordonner la transmission de l’ordonnance au personnel, permanent et intérimaire, en place à la date du délibéré, dans les huit jours suivant son prononcé et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et par infraction,
— Se réserver la liquidation des astreintes,
— Condamner la S.A.S Amazon France Logistique à verser à l’Union Syndicale Solidaires la somme de 4 800 euros TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— Condamner la SAS Amazon France Logistique aux entiers dépens.

Par conférence téléphonique rassemblant les magistrats de la présente formation collégiale et les avocats de l’Union syndicale Solidaires et de la société Amazon France Logistique le 9 avril 2020 à 10 heures, il a été débattu de la demande de renvoi de la société Amazon France Logistique.
Le conseil de cette dernière a fait valoir qu’elle n’avait pas eu le temps matériellement de préparer sa défense et qu’elle venait en outre de prendre connaissance de l’intervention volontaire de l’association les Amis de la Terre. Le conseil de l’Union syndicale Solidaires s’est opposé au renvoi eu égard à l’urgence de la situation. La présidente de la formation collégiale a indiqué aux parties que si un renvoi était ordonné, il pouvait être envisagé un renvoi au 10 avril 2020 à 14 heures, avec un délai supplémentaire de 24 heures donné à la société pour conclure. Le conseil de l’Union syndicale Solidaires a indiqué qu’elle ne s’opposait pas au renvoi à la condition que dans l’attente du renvoi la société cesse toute son activité, ce à quoi s’est opposé le conseil de la société. L’Union syndicale Solidaires a sollicité, si un renvoi devait être ordonné, que le délai donné à la société pour conclure soit fixé au 10 avril 2020 à 19 heures, demande à laquelle le conseil de la société s’est opposé.
Par email envoyé aux conseils le 9 avril 2020 à 11 heures 20 , les parties ont été informées que l’affaire était renvoyée au 10 avril 2020 à 14 heures et que la société Amazon France Logistique devait conclure et transmettre ses pièces avant le 9 avril 2020 à 19 heures et l’Union syndicale Solidaires et l’Association les Amis de la Terre avant le 10 avril 2020 à 10 heures, une audience se tenant par un moyen dématérialisé.
Finalement, toutes les parties ont été avisées téléphoniquement par la présidente de la formation collégiale le 10 avril 220 à 11 heures et par courrier électronique à 11 heures 07 que la société Amazon France Logistique et l’Association Les Amis de la Terre pourraient conclure et transmettre leurs pièces avant le 10 avril 2020 à 13H30 et que les parties étaient convoquées à une audience le 10 avril 2020 à 15H30, qui aurait lieu en chambre du conseil conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020.

A l’audience, l’Union syndicale Solidaires, représentée par son avocat, a sollicité le bénéfice de ses dernières conclusions reprenant les demandes telles que figurant dans l’assignation.
L’Union syndicale Solidaires soutient que dans chaque entrepôt d’Amazon, les équipes sont composées au minimum de 500 personnes, ce qui constitue une violation de l’article 2 de l’arrêté du 14 mars 2020 et de l’article 7 du décret du 23 mars 2020 et un trouble manifestement illicite, au sens de l’article 835 du code de procédure civile. Elle fait valoir que l’interdiction des rassemblements et activités de plus de 100 personnes ayant pour finalité de ralentir la propagation du virus Covid-19, sa violation cause un dommage imminent, au sens du même article, tant aux salariés concernés qu’à leurs proches, aux clients et à la population en général.
Elle expose que la société n’a pas suffisamment évalué les risques et n’a pas pris les mesures suffisantes face aux différentes situations à risque.
Elle sollicite les mesures tant au titre du non respect des dispositions réglementaires précitées que des obligations de sécurité et de prévention de la santé des salariés.
L’association les Amis de la Terre intervient volontairement à l’instance en sollicitant des mesures identiques à celles sollicitées par l’Union syndicale Solidaires et la condamnation de la société Amazon France Logistique à lui payer la somme de 3 000 euros TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait notamment valoir qu’elle a intérêt à agir dès lors que la préservation des êtres humains et donc des salariés, lesquels peuvent être exposés du fait des modes d’organisation du travail, fait partie intégrante de son objet associatif.
La société Amazon France Logistique sollicite que la demanderesse soit déboutée de toutes ses demandes et condamnées aux dépens ainsi qu’à lui payer la somme de 4 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle soulève l’irrecevabilité de l’intervention de l’association les Amis de la Terre pour défaut d’intérêt à agir et à titre subsidiaire le rejet au fond de ses demandes. Elle sollicite également la condamnation de l’association les Amis de la Terre aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le respect du contradictoire n’a pas été respecté et qu’elle n’a pu bénéficier de son droit à la défense.
La société Amazon France soutient que l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes ne s’applique pas à la société ni à aucune activité économique ou industrielle et qu’en toute hypothèse, le seuil de 100 salariés se trouvant simultanément au même endroit n’est jamais atteint au sein des locaux de la Société grâce aux mesures mises en place
Elle fait valoir que le document d’évaluation des risques de chaque site est remis à jour depuis le début de l’épidémie au moins une fois par semaine voire plus et que les mesures prises sont ensuite répertoriées dans un document annexe et sont communiquées aux CSE par emails.
Elle soutient qu’elle a mis en place de très nombreuses mesures visant à s’assurer que les salariés respectent et soient en mesure de respecter les gestes barrières, respectent et soient en mesure de respecter les distances sociales d’un mètre puis de deux mètres ainsi que puissent bénéficier de mesures complémentaires afin de leur assurer un environnement sécurisé.
Elle expose qu’elle a également mis en place des outils de suivi et des procédures permettant d’assurer la sécurité de ses salariés ayant eu un contact étroit avec des personnes contaminées par le Covid-19 ou suspectées de l’être.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions écrites.

MOTIFS

1°) Sur la procédure
A/ Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de l’association Les amis de la Terre :
La société Amazon France Logistique soutient que l’action principale n’a aucune visée environnementale alors qu’il s’agit de l’objet social de l’association. L’association Les Amis de la Terre soutient que ses statuts et plus précisément l’article 2 établissent un lien indissociable entre les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux et qu’elle a rédigé avec le syndicat Solidaires un rapport qui expose les revendications communes à l’encontre d’Amazon aussi bien sur le plan social, écologique que fiscal.
L’article 31 du code de procédure civile énonce que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’association Les Amis de la Terre est une fédération d’une trentaine d’associations locales sur le territoire, qui est agréée pour la protection de l’environnement. Son objet est d’agir pour la protection des êtres humains et de l’environnement.
S’il est mentionné dans l’article 2 des statuts que la fédération encourage la prise en compte des impératifs liés au progrès social, cette action fait partie de l’objectif fixé par l’association d’oeuvrer en faveur de la construction d’une société durable, ne compromettant pas l’avenir des êtres humains et de l’environnement.
L’action engagée par l’Union Syndicale Solidaires est fondée sur les articles L4121-1 et suivants du code du travail ainsi que sur l’arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 23 mars 2020.
Le fait que l’association prenne en compte les « impératifs liés au progrès social » et agisse en faveur de la « protection des êtres humains » ne suffit pas à établir son intérêt à agir dans un litige qui oppose des salariés à leur employeur relativement au respect par ce dernier de son obligation de sécurité concernant la santé physique et mentale des travailleurs.
Si l’objet de l’association lie la protection de l’environnement avec celle des êtres humains, il ne résulte pas des statuts qu’elle aurait vocation à agir dans le cadre de la défense des droits de salariés indépendamment de tout litige lié à une atteinte environnementale.
Or le présent litige ne porte ni sur le modèle économique de la société ni sur la préservation de l’environnement mais uniquement sur les obligations de la société, chargée de la gestion des entrepôts, concernant les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs dans le contexte d’épidémie de Covid 19 ainsi que sur le respect de règles de santé publique édictées pour lutter contre une épidémie.
Par conséquent, l’intervention de l’association Les Amis de la Terre sera déclarée irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

B/
Sur le respect du principe du contradictoire :
La société a disposé d’un délai de 27 heures pour répondre à l’assignation soit la fin de journée du 8 avril 2020 à compter de 16 heures et la journée du 9 avril 2020 jusqu’à 19 heures. Les pannes demanderesses ont eu un délai de 14 heures pour répondre, soit la soirée du 9 avril 2020 à compter de 19 heures et la matinée du 10 avril 2020 jusqu’à 10 heures. La société a disposé ensuite de 3H30 pour répondre à ces conclusions et produire de nouvelles pièces.
Il convient d’observer que les parties demanderesses n’ont pu répondre qu’oralement aux dernières conclusions de la société et que cette dernière a eu la parole en dernier à l’audience.
Par ailleurs il y a lieu de souligner que les demandes du syndicat et ses argumentations juridiques ne pouvaient être ignorées par la société, dès lors que le présent litige porte sur des points qui ont été évoqués depuis plusieurs semaines par la DIRRECTE lors des procédures de contrôle, qui ont fait l’objet de communications médiatiques par chacune des parties et qu’ils étaient également évoqués dans le cadre des droits de retrait invoqués, des préavis de grève ainsi que des procédures pour danger grave et imminent. En outre eu égard à l’importance économique de la société, il ne saurait être raisonnablement allégué qu’elle n’aurait pas disposé des moyens juridiques et matériels pour faire valoir ses arguments dans les délais impartis.
Il convient d’en déduire qu’au delà du principe du respect du contradictoire, le principe d’égalité des armes a également été respecté.

2°) Sur le fond :
A/ Sur la violation de l’interdiction des activités mettant en présence simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert :
L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19, de caractère pathogène et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le législateur, par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid- 19, a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020.
L’article L3131-15 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020, dispose que dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :
« 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ;
« 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
(…)
« 5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ; « 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;
(…)
« 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 du présent code.
Dans ce contexte, le Premier ministre, par un décret du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié depuis, pris sur le fondement de ce texte, et après avoir prescrit l’observation, en tout lieu et en toute circonstance, de mesures d’hygiène et de distanciation sociale, a réitéré les mesures qu’il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires, notamment en son article 7, en ce qui concerne les rassemblements, réunions ou activités, en interdisant tout rassemblement, réunion ou activité de plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert et en restreignant plus avant, en son article 8, les activités des établissements recevant du public, les établissements d’accueil des enfants, les établissements d’enseignement scolaire et supérieur ainsi que la tenue des concours et examens.
Les effets de ces mesures ont été prolongés par décret du 27 mars 2020. Ce décret ne prévoit aucune autre limitation à la liberté d’entreprendre de sorte qu’aucune violation de ces dispositions ne peut être retenue en l’espèce.
Les demandes formées au titre de l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes seront par conséquent rejetées.

B/ Sur la violation de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés
Conformément aux dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
En application des articles L 412 1-3 et R 4121-1 à -4 du code du travail , l’employeur est tenu d’évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique et de mettre en œuvre les mesures de prévention adéquates.
Ainsi que le précise la circulaire du DRT 2002-6 du 18 avril 2002, les représentants des salariés doivent être associés à l’évaluation de ces risques. Il convient de rappeler en outre que le comité social et économique a pour mission de promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise et qu’il doit être consulté en cas de modification importante de l’organisation du travail.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Suite au passage au stade 3 de l’épidémie, il n’est pas discuté que les mesures nécessaires au sens de ces dispositions sus-rappelées sont celles préconisées puis rendues obligatoires par le gouvernement à savoir notamment s’assurer que les règles de distanciation et les gestes barrières sont effectivement respectés au sein de l’entreprise et que les réunions soient effectivement limitées au strict nécessaire comme doivent l’être les regroupements de salariés dans des espaces réduits et que l’organisation du travail doit être au maximum adaptée.
Pour soutenir qu’il existe un trouble manifestement illicite et un dommage imminent au sens prévu à l’article 835 du code de procédure civile, le syndicat fait valoir en premier lieu que la société n’aurait pas procédé à une évaluation de manière systématique des risques liés à la pandémie pour chaque situation de travail et n’y aurait pas associé les représentants du personnel.
En réponse, la société soutient qu’elle a mis en œuvre l’intégralité des mesures ainsi édictées tout en assurant la sécurité de ses salariés, de ses partenaires de livraison, et de ses clients, et que les mesures qu’elle a prises vont bien au-delà de ces règles et qu’elle a modifié l’organisation du travail en fractionnant les horaires de travail et de pause, en modifiant les horaires des équipes notamment.
Elle soutient qu’elle procède à pas moins de trois évaluations complètes par jour via :
— un contrôle de l’équipe « Safety »
(sécurité)
— une visite quotidienne des sites avec les représentants du personnel qui le souhaitent
— une réunion téléphonique avec l’ensemble des fonctions supports de tous les sites permettant une évaluation complète des risques et des mesures mises en place.
Alors que la société expose avoir modifié l’organisation du travail, après avoir procédé à une évaluation des risques, elle ne justifie pas y avoir associé les représentants des salariés et en premier les CSE des différents sites. A ce titre, elle se contente d’indiquer que le document d’évaluation des risques de chaque site est remis à jour depuis le début de l’épidémie au moins une fois par semaine voire plus, qu’elle a identifié 35 risques correspondant à l’ensemble des zones ou des activités qui pourraient présenter des risques en l’absence d’aménagement, que l’ensemble des documents d’évaluation des risques sont mis à la disposition des membres du CSE qui est informé de l’intégralité des mesures mises en œuvre au sein de la Société, que depuis le 20 mars 2020, elle procède à des visites de sites avec au minimum deux salariés volontaires qui sont prioritairement choisis parmi les membres des CSE, des CSSCT ou des organisations syndicales lorsque ces derniers acceptent cette démarche, et qu’elle a convié les organisations syndicales à une réunion de négociation portant sur les mesures mise en œuvre dans le cadre de la gestion de la crise le 19 mars 2020, que lors de cette réunion, et malgré le refus catégorique des organisations syndicales de négocier toute mesure, elle leur a exposé les premières mesures mises en œuvre et celles en cours de mise en place et qu’à l’issue de cette réunion, elle a émis un « Plan d’action relatif aux conditions de protection durant l’épidémie de Coronavirus », qu’elle a mis en place des audits quotidiens sur le respect des règles en vigueur par le biais de son équipe sécurité.
Elle ne verse aux débats aucun procès-verbal de réunions des CSE ni du CSE central depuis le début de l’épidémie, indiquant à l’audience qu’ils n’ont pas encore été formalisés, pas plus que les compte-rendus des visites et des audits sus-évoqués.
Seuls sont produits, sans être précisément listés, des échanges de courriels avec les membres des CSE ainsi qu’un certain nombre d’ordres du jour de réunions de ces instances qui font ressortir, ce que la direction ne conteste d’ailleurs pas, que les membres des comités et les comités eux-mêmes ont uniquement été informés a posteriori des mesures préventives prises et des procédures mises en place ainsi que des modifications de l’organisation du travail.
Ne sont fournis ni le nombre des réunions de ces instances qui se sont effectivement tenues ni la teneur des échanges qui ont eu lieu lors de ces réunions ni même les documents présentés à l’appui de cette information de sorte que la société ne rapporte pas la preuve de l’information donnée et de son contenu.
Il y a dès lors lieu de considérer que les instances représentatives du personnel n’ont pas été associées à l’évaluation des risques que la direction aurait menée.
— Outre l’absence d’association des représentants du personnel à l’évaluation des risques, le syndicat soutient que la société n’a pas évalué de manière systématique et précise les risques liés à l’épidémie pour chaque situation de travail.
L’Union syndicale Solidaires soutient en premier lieu que la société n’a pas mis en place d’outil permettant un suivi des cas de salariés suspectés ou porteurs du virus, ni de process définissant les actions à mener lorsque de tels cas surviennent. Elle indique également qu’aucune méthode n’a été présentée au personnel afin de déterminer quels sont les salariés qui ont été au contact des personnes infectées.
Elle précise que le nombre de personnes dispensées d’activité suite à une personne diagnostiquée est différent à Saran et à Brétigny.
La société soutient que depuis le 13 mars, un échange quotidien d’information a lieu entre les équipes support (ressources humaines , directeur d’établissement), les équipes sécurité et les équipes préventions sur les éventuels cas de salariés confirmés ou suspectés d’avoir contracté le Covid 19 et la mise en œuvre des procédures adaptées.
Elle précise la procédure prévue lorsqu’une personne est détectée positive au Covid 19 alors qu’elle était déjà présente sur site au moment de l’apparition des symptômes et que cette procédure prévoit notamment d’identifier les personnes qui ont eu des contacts étroits avec le salarié infectée en interrogeant directement le salarié concerné, en analysant les informations relatives à ses horaires et ses activités et en visionnant les enregistrements de vidéosurveillance correspondant aux heures de travail du salarié, aux zones de travail et aux espaces collectifs.
S’il résulte des premiers contrôles de l’inspection du travail que la procédure mise en œuvre en cas de contamination de salariés n’était pas suffisamment précise et explicite et qu’il convenait de renforcer l’information des encadrants de proximité afin qu’ils puissent prendre toutes les mesures nécessaires pour déterminer rapidement les salariés ayant eu des contacts étroits avec les salariés contaminés et appliquer les mesures de quatorzaine nécessaires, les courriers en réponse de la société aux observations de l’inspection du travail ainsi que les derniers courriers de l’inspection du travail établissent que des outils de suivi des cas d’infection avérés ou suspectés et des mesures pour protéger les salariés qui pourraient avoir été en contact avec eux ont effectivement été mis en place par la société.
Les demandes fondées sur le défaut de recensement et d’outils de suivi des cas de contamination seront par conséquent rejetées.
S’agissant du risque de contamination à l’entrée de tous les sites, il est constant que tous les salariés empruntent un portique tournant. Ce point a été confirmé à l’audience par la direction. La société justifie le maintien de l’utilisation de ce portique pour des motifs de sécurité liés au risque incendie. Cependant l’inspecteur du travail, connaissance prise de cette argumentation, dans sa lettre du 10 avril 2020, faisant suite à la contre-visite effectuée le 8 avril sur le site de Brétigny sur Orge, a réitéré sa recommandation soit de procéder à l’enlèvement du portique, celui-ci constituant une source de contamination importante, soit de maintenir la porte adjacente ouverte. Il ajoute avoir observé que les salariés sont amenés à le pousser avec leurs vêtements pour les plus vigilants et dans le pire des cas avec leurs mains et qu’il paraît techniquement impossible de procéder au nettoyage systématique de ces portiques tournants après chaque passage sans générer de nouveaux risques : augmentation de la file d’attente certaines heures et non respect des mesures de distanciation sociale.
Si l’inspecteur du travail a levé la mise en demeure adressée s’agissant du site de Sevrey, cette dernière décision ne fait pas disparaître le risque de contamination à l’entrée dès lors que chaque salarié de tous les établissements doit utiliser ce portique tournant pour pénétrer dans l’établissement, le respect des distances entre chacun et l’utilisation possible de gel hydroalcoolique désormais fourni individuellement à l’entrée à chaque salarié n’étant pas des mesures suffisantes. Il convient en effet de relever que le nombre de salariés qui prennent leur poste en même temps demeure élevé ( entre 150 et 450 sur les mêmes horaires) selon les déclarations faites à l’audience par la direction de la société même si les horaires ont été divisés entre 3, 4 voire 5 horaires différents. Cette dernière a confirmé à l’audience qu’une solution alternative pour l’entrée des salariés était à l’étude.
Ce risque n’a donc pas été suffisamment évalué.
A propos de l’utilisation des vestiaires, des moyens de désinfection ont été mis à disposition en quantité suffisante pour permettre aux salariés de nettoyer la porte et le système de fermeture de l’armoire vestiaire, selon les dernières constatations de l’inspection du travail indiquées dans sa lettre du 10 avril 2020 après sa contre visite dans l’établissement de Lauwin Planque. La société a finalement décidé à titre de mesure de prévention de restreindre l’accès à l’usage des vestiaires aux seuls salariés qui viennent au travail en transport en commun ou en motocyclette. L’évolution des mesures ainsi prises pose des difficultés au regard de l’obligation légale de l’employeur de mettre à disposition des salariés des équipements collectifs équipés d’armoires vestiaires, conformément aux dispositions des articles R 4228-let suivants du code du travail, afin de répondre notamment au respect des règles d’hygiène. Il a été constaté en effet par le syndicat que des salariés déposaient leurs manteaux les uns à côté des autres sur des rambardes à proximité de leur poste de travail ce qui génère de nouveaux risques de contamination. Par ailleurs, la solution d’autoriser les salariés à apporter leur manteau sur leur poste de travail et à le déposer sur place ne fait pas l’objet d’une formalisation dans un document. En outre, l’accès au vestiaire du service maintenance ne fait pas l’objet de cette formalisation comme l’a relevé l’inspecteur du travail sur le site de Lauwin Planque le 8 avril, alors qu’il s’agit d’un local spécifique, exigü au regard des règles de distanciation sociale, rendant nécessaires également des mesures pour assurer le respect effectif de ces règles. À cet égard la seule présence d’ambassadeurs hygiène et sécurité à l’entrée des vestiaires n’apparaît pas suffisante à assurer le respect de ces règles dès lors qu’aucune directive n’est donnée à ces salariés quant au nombre maximum de salariés pouvant occuper simultanément les lieux.

Il découle de ces constatations les plus récentes que le risque de contamination s’agissant de l’utilisation des vestiaires y compris, à l’issue des réorganisations opérées, n’a pas fait l’objet d’une évaluation suffisante.
A propos des plans de prévention avec les entreprises extérieures, la société en a justifié pour certains d’entre eux y compris à l’issue des contrôles et des mises en demeure de l’inspection du travail. Ainsi, l’inspection du travail avait demandé le 1er avril leur transmission après actualisation pour l’établissement de Brétigny sur Orge ( nettoyage, restauration , maintenance et transporteurs etc…). A l’égard des transporteurs cependant, il n’est toujours pas justifié des protocoles de sécurité prévus par les dispositions des articles R. 4515-4 et suivants du code du travail. Les opérations de chargement ou de déchargement doivent en effet faire l’objet d’un document écrit comprenant les informations utiles à l’évaluation des risques de toute nature générés par l’opération ainsi que les mesures de prévention et de sécurité à observer à chacune de ces phases de réalisation intégrant les risques liés à l’épidémie du Covid 19.
Des préconisations ont été émises également à ce sujet par l’inspection du travail après la contre visite dans l’établissement de Lauwin Planque à propos des mesures de désinfection des mains des chauffeurs.
L’inspection du travail intervenue sur l’établissement de Montélimar dans sa mise en demeure du 7 avril 2020 a maintenu sa demande d’actualisation des plans de prévention avec les entreprises extérieures (nettoyage, sécurité et les deux entreprises de travail temporaire). Si la société communique la lettre adressée le 7 avril en réponse à la lettre d’observation à la mise en demeure elle ne justifie pas d’une réponse ni d’un recours à l’égard de cette mise en demeure. Dans cette lettre en réponse, la société indique avoir adressé par courriel du 6 avril les mises à jour de ces plans de prévention pour les entreprises de nettoyage, de sécurité et les protocoles de chargement et de déchargement actualisés. Il n’est pas justifié de cet envoi tandis que l’inspection du travail a maintenu sa demande d’actualisation dans la mise en demeure.
Par conséquent il n’est pas justifié de l’intégralité des plans de prévention avec toutes les entreprises extérieures.
S’il n’est pas contesté que la fréquence des nettoyage a été augmentée, il n’est cependant pas justifié avec suffisamment de précision des protocoles mis en place. Cela est le cas, par exemple, du nettoyage des chariots automoteurs sur les quais de livraison ( cf lettre de mise en demeure de l’inspection du travail du 7 avril pour l’établissement de Montélimar). Dans la lettre en réponse de la direction de cet établissement à la lettre d’observation préalable à la mise en demeure, il est fait état des protocoles de nettoyage actualisés mais l’annexe citée n’est pas communiquée.
Il en ressort que si des mesures ont été prises et que l’organisation du travail a été constamment modifiée pour répondre à l’évolution de la situation, la société ne justifie pas que les nouveaux process ont été formalisés. En outre, il n’est pas justifié que ces changements, opérés sans concertation préalable avec les représentants du personnel, auraient été portés de manière appropriée à la connaissance des salariés.
Ce risque n’a donc pas été suffisamment évalué.
S’agissant des risques liés à la manipulation des colis qui passent de main en main, la société répond que le syndicat ne justifie pas que le contact des objets pourrait générer un risque pour les personnes et en tout état de cause qu’il n’existe pas de recommandations gouvernementales quant aux mesures de désinfection des objets, les mesures barrières permettant une protection efficace contre le risque de contamination.
La société reconnaît cependant le risque de contamination par le contact d’objet en carton, puisqu’elle fait état dans l’une des diapositives de l’outil de formation communiqué ( pièce 8 A) de la durée de présence du virus sur différents types de supports dont le carton pendant 24 heures, citant une étude d’une université américaine.
Elle justifie dans les DUERP avoir identifié le risque de propagation microbien ou viral par des marchandises provenant d’autres pays. Cette identification résulte du seul DUERP entièrement lisible produit aux débats.
Le DUERP mentionne au titre des mesures à prendre : « néant aucun risque puisque les cartons mettent plusieurs semaines avant d’arriver ».
Il en résulte que le risque de contamination tenant aux manipulations successives des objets depuis la réception dans l’établissement à la livraison par les chauffeurs, ne fait pas l’objet d’une évaluation dans les DUERP. Le seul fait d’affirmer que les gestes barrières permettent une protection efficace ne répond pas à l’obligation d’évaluer préalablement les risques avant de définir les mesures de sécurité et de prévention nécessaires.
A propos de l’effectivité des mesures de distanciation sociale, on peut observer qu’au cours de leurs contre-visites, les inspecteurs du travail ont encore constaté des non respects ponctuels entraînant des situations de travail rapprochées par exemple entre conducteurs de transpalettes et opérateurs sur postes fixes, entre salariés de l’entreprise et prestataires de nettoyage dont le nombre a augmenté ( cf lettre de l’inspection du travail du 10 avril pour le site de Lauwin Planque). Enfin les constats d’huissier versés aux débats par la société ne sont pas probants s’agissant du respect par les salariés des mesures de distanciation. Ainsi, l’huissier dont la mission était de procéder à toute constatation utile indique dans son constat établi le 8 avril 2020 (pièce 2 A), à propos de la photographie n° 57 qu’il constate que les casiers ont été condamnés et que la traversée de la salle des casiers a été organisée au moyen de caissettes afin d’individualiser les flux, cette traversée étant à sens unique. Or, on peut observer sur cette photographie la présence en arrière plan de quatre personnes proches les unes de autres sans que le constat n’apporte d’indication sur le respect ou non par ces dernières des règles de distanciation sociale. De façon générale, il convient de relever que la plupart des photographies annexées à ces constats comportent un nombre très faible voire inexistant de personnels dans les locaux de l’entreprise qui n’apparaissent pratiquement jamais au premier plan, les constatations portant en réalité sur la seule mise en place des mesures et notamment de la signalétique et la gestion des flux et non sur leur respect par les salariés.
A propos des outils de contrôle, la société indique avoir affecté 350 salariés, ambassadeurs hygiène et sécurité, à une nouvelle mission consistant à garantir le respect par les salariés des mesures barrières et des consignes de sécurité et de prévention du risque de contamination. Elle indique en outre que l’équipe sécurité procède à des audits quotidiens sans en justifier. S’agissant de la visite chaque jour avec état des lieux qui a été également mise en place avec les représentants du personnel, elle ne communique pas non plus les compte-rendus de ces visites. Selon le syndicat il s’agit de documents établis unilatéralement par la société. L’absence de communication de ces documents ne met pas la juridiction en mesure de vérifier le caractère adapté des mesures mises en œuvre. Or il appartient à la société de justifier de l’effectivité y compris dans le temps des mesures prises comme rappelé par les inspecteurs du travail dans leur lettre d’observation du 10 avril 2020.
L’article L4121-1 du code du travail énonce
, parmi les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs, l’existence d’actions d’information et de formation.
Si la société justifie de la mise en place de certaines mesures d’information et de communication, l’inspection du travail l’a néanmoins mise en demeure de justifier d’une formation renforcée à l’attention des personnels ( cf lettre de l’inspection du travail du 3 avril à propos du site de Saran). Le dispositif de formation présenté par la société en réponse à cette mise en demeure et déployé à compter du 25 mars 2020, est cependant insuffisant, en ce qu’ il apparaît peu adapté à la mise en application à chaque poste de travail. Ainsi aucune formation particulière n’est dispensée sur l’emploi des gants, alors même qu’il est indiqué aux salariés que ces gants peuvent servir de support au virus.
Dans ses conclusions la société a fait état de ce qu’elle déploie actuellement une nouvelle campagne de formation et de sensibilisation complémentaire rappelant les mesures de prévention mises en place dans les sites à l’ensemble des salariés, travailleurs temporaires et prestataires de services, ce dont elle ne justifie pas.
Il en résulte que les mesures de formation des personnels ne sont pas ni suffisantes et ni adaptées au regard des risques élevés de contamination liés à la nature de l’activité de l’entreprise.
Le syndicat expose que les risques psycho-sociaux ne sont pas évalués dans les DUERP notamment en lien avec le risque épidémique d’une part et d’autre part en raison des réorganisations induites par les mesures mises en place pour prévenir ce risque.
La société se contente d’affirmer qu’elle a rempli son obligation, sans produire aucun élément à l’appui de cette affirmation ainsi que le souligne l’inspecteur du travail au sujet de l’établissement de Lauwin Planque.
Il est
en effet particulièrement nécessaire que cette évaluation rende compte des effets sur la santé mentale induits notamment par les changements organisationnels incessants (modification des plages de travail et de pause, télétravail, …), les nouvelles contraintes de travail, la surveillance soutenue mise en place quant au respect des règles de distanciation et les inquiétudes légitimes des salariés par rapport au risque de contamination à tous les niveaux de l’entreprise.
Il ressort de l’ensemble des pièces communiquées et des débats d’audience que si la société a effectué une évaluation des risques induits par l’épidémie du virus Covid 19, cette dernière est insuffisante et la qualité de celle-ci ne garantit pas une mise en œuvre permettant une maîtrise appropriée des risques spécifiques à cette situation exceptionnelle.
Par conséquent, la société Amazon France Logistique a, de façon évidente, méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. Le non respect de cette obligation rend également nécessaire de prévenir un dommage imminent constitué par la contamination d’un plus grand nombre de salariés et par suite la propagation du virus à de nouvelles personnes.

C/ Sur les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite et à prévenir le dommage imminent
Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire et eu égard au caractère hautement contagieux du virus, alors que l’épidémie continue de se propager, que les services de santé demeurent surchargés et que chaque personne est un vecteur potentiel de transmission du virus, il appartient à la société, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de ses salariés, des mesures complémentaires de nature à prévenir ou à limiter les conséquences de cette exposition aux risques.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il y a lieu, afin de faire cesser ce trouble manifestement illicite et pour prévenir ce dommage imminent, d’ordonner conformément aux dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi que les mesures prévues à l’article L 4121-1 du code du travail en découlant.
Afin d’assurer l’effectivité des mesures ordonnées, il convient d’assortir cette décision d’une astreinte dont le montant doit être proportionné aux moyens financiers de la société. Cette dernière ne contestant pas l’affirmation du syndicat selon laquelle son chiffre d’affaires réalisé en 2018 s’élevait à 431 263 800 d’euros, et était en progression depuis, y compris pendant la période de confinement, il apparait nécessaire afin d’assurer le respect de la présente décision, de fixer le montant de cette astreinte à la somme de 1.000.000 d’euros par jour et par infraction constatée.

D/ Sur les autres mesures sollicitées
La reprise de l’activité normale de l’entreprise étant subordonnée à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi qu’à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L 4121-1 du code du travail en découlant, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres demandes présentées en tout état de cause par le demandeur ni d’ordonner une astreinte spécifique pour s’assurer du respect de ces obligations, les mesures provisoires ordonnées étant suffisamment efficaces pour inciter l’entreprise à respecter ses obligations.
La présente décision est rendue publiquement. Il appartient par conséquent aux parties d’en assurer la diffusion selon les modalités qu’elles estiment nécessaire sans qu’il n’y ait lieu d’en ordonner la transmission aux personnels.

Tenue aux dépens la société Amazon France Logistique versera à l’Union Syndicale Solidaires la somme de 4.800 euros TTC au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Si l’intervention de l’association Les Amis de la Terre est jugée irrecevable, il n’est pas inéquitable de la dispenser de toute condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile .
Conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après débats en chambre du conseil conformément à l’article 6 de l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Déclarons irrecevable l’intervention de l’association Les Amis de la Terre,
Ordonnons à la S.A.S. Amazon France Logistique de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses entrepôts ainsi qu’à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L 4121 du code du travail en découlant
,
Ordonnons, dans l’attente de la mise en œuvre des mesures ordonnées ci-dessus, à la S.A.S. Amazon France Logistique dans les 24 heures de la notification de cette décision de restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux, sous astreinte, de 1.000.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, passé ce délai et pendant une durée maximum d’un mois, à l’issue de laquelle il pourra être à nouveau statué,

Nous réservons la liquidation de cette astreinte,
Condamnons la S. A.S. Société Amazon France Logistique à verser à l’Union Syndicale Solidaires la somme de 4.800 euros TTC au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejetons les demandes de la S.A.S. Société Amazon France Logistique sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons la S.A.S. Société Amazon France Logistique aux dépens, Rappelons que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire,

Rejetons les autres demandes des parties.

Fait à Nanterre, le 14 Avril 2020.