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Le 6 novembre

Une nouvelle étape d’un mouvement hors du commun

samedi 6 novembre 2010

Malgré les moyens déployés par le gouvernement pour tenter d’accréditer l’idée que « la page retraite » est tournée, ce sont 1,2 million de salariés qui ont manifesté dans 243 villes contre la réforme des retraites.

En 10 semaines de mobilisation depuis la rentrée, des millions de salariés ont construit une multitude d’initiatives dans les entreprises et les localités, participé à huit journées interprofessionnelles de grève et de manifestations. En soi, c’est déjà un mouvement hors du commun.

Cela démontre que, malgré la fin du processus parlementaire et les mensonges d’Etat diffusés dans les médias, l’opinion des salariés n’a pas changé. La loi reste impopulaire parce qu’elle est injuste et inefficace. Les salariés ont bien compris que les conséquences seraient néfastes pour la plupart d’entre eux.

Il y a plusieurs mois avant la mise en application effective de la loi qui sera probablement promulguée par le Président de la République. L’action peut donc légitimement se poursuivre pour empêcher la mise en œuvre des mesures anti sociales de cette loi et obtenir l’ouverture de négociations pour prendre en compte les alternatives syndicales.

La CGT appelle sans attendre les salariés à se réunir sur leur lieu de travail pour débattre et décider des initiatives unitaires les plus larges contribuant à alimenter le mouvement sur les retraites. La CGT invite à cette occasion les salariés à mettre à jour les cahiers revendicatifs en matière d’emploi, de salaires, de conditions de travail… afin de contraindre les employeurs à ouvrir des négociations. D’ores et déjà de premiers succès sont enregistrés dans divers secteurs professionnels et entreprises.

La CGT, comme elle l’a toujours fait, sera porteuse de la détermination des salariés à continuer l’action en proposant à l’intersyndicale du 8 novembre une nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle dans la semaine du 22 au 26 novembre.

De nombreuses organisations ont déjà prévu des initiatives avant cela, notamment le 16 novembre comme étape intermédiaire avant un nouveau temps fort national.

La CGT se félicite des 8 500 adhésions qu’elle a enregistrées depuis le 1er septembre. Elle appelle tous ceux qui lui témoignent leur confiance à s’engager eux aussi durablement dans l’action en adhérant à la CGT.

Montreuil, le 6 novembre 2010

 

 

 

 

 

INTERVIEW DE BERNARD THIBAULT POUR L’HUMANITÉ

"Les salariés ne veulent pas en rester là"

 

Le secrétaire général de la CGT répond aux questions de Paule Masson dans l’édition de samedi 6 novembre.

Certains syndicats considèrent que la journée de manifestation d’aujourd’hui est décisive pour la poursuite du mouvement. Est-ce votre sentiment ?

Bernard Thibault. Ce n’est pas la question. Même si la plupart des médias ont tiré le rideau, le mouvement est profondément installé dans le pays. Il y a donc besoin de moments où on se retrouve tous ensemble. La journée de manifestation d’aujourd’hui représente donc un nouveau temps fort. Il y en aura d’autres. Nous l’avons toujours dit : la CGT ira jusqu’au bout.

Depuis début septembre, le mouvement compte sept manifestations, qui ont chaque fois rassemblé entre deux et trois millions de salariés. Le mécontentement n’est-il pas plus large que la seule question des retraites ?

Bernard Thibault. Le mouvement part des retraites. Mais peut-on aborder cette question sans parler d’emploi, de conditions de travail, de déroulements de carrières où de salaires, de pénibilité du travail, du sort réservé aux seniors ou aux jeunes. En quelque mois, le travail syndical est considérable. Alors que le gouvernement a présenté une réforme comptable, nous sommes parvenus à imposer un débat de société sur la place du travail, les conséquences de la crise économique, sur la nécessité d’un nouveau partage des richesses. Les salariés se rendent bien compte qu’on leur demande des efforts financiers en matière de retraite alors que les banques, qui ont été soutenues par l’Etat, sont en train de réafficher des résultats considérables. C’est ce qui explique l’ampleur du mouvement, son assise inégalée en France et au plan international.

Les observateurs internationaux s’intéressent effectivement à ce qui se passe en France…

Bernard Thibault. Tous les syndicats du monde sont confrontés à la même crise économique. Il y a des mouvements sociaux dans d’autres pays, en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Allemagne aussi, mais je constate, une fois de plus, que la résonance de ce qui se passe en France est plus importante qu’ailleurs. La CGT répondra présente pour la journée européenne d’action contre les plans d’austérité le 15 décembre.

La réforme reste impopulaire, mais la loi est votée. Et pour certains, l’effet est quand même démobilisateur. Il faut encore convaincre sur cette question ?

Bernard Thibault. Par principe, une loi dit le droit à un instant T. Toutes sont révisables en permanence. Le gouvernement en donne la preuve lui même puisqu’il a révisé par cinq fois les lois sur la sécurité. Le mouvement social entre dans une nouvelle séquence, qui ne peut pas être celle du renoncement. Certains poussent à des alternatives qui consistent soit, à se donner rendez-vous aux élections présidentielles, soit à prendre pour argent comptant le rendez vous de 2013 fixé par le gouvernement pour remettre à plat le système de retraite. Le problème, c’est que le caractère injuste de la loi va s’appliquer rapidement. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait renoncer à tout faire pour empêcher son application. D’ailleurs, beaucoup de salariés considèrent que ce n’est pas possible d’en rester là. Pour continuer, un grand nombre choisit de se syndiquer. Depuis le 1er septembre, la CGT a enregistré près de 8.500 adhésions, dont 2000 les 15 derniers jours. Je peux vous dire qu’il va y avoir encore des centaines de milliers de personnes dans les rues aujourd’hui.

Nicolas Sarkozy considère que sa légitimité politique issue de l’élection présidentielle l’autorise à tenir bon contre le mouvement social. Cela vous inquiète-t-il pour l’avenir de la démocratie sociale ?

Bernard Thibault. La colère face au passage en force du gouvernement s’exprime fortement dans le mouvement social. Elle explique pour une large part pourquoi 70% des Français soutiennent le mouvement. La représentation politique ne peut pas assurer une réelle démocratie si elle impose des choix de société en ne tolérant pas que d’autres acteurs s’expriment, dont les acteurs syndicaux. Je me souviens encore des polémiques de 2003 où parmi les syndicats, certains portaient l’idée qu’on ne pouvait pas agir pendant que le parlement légiférait. Il y a aujourd’hui unanimité syndicale, non pas pour remettre en cause la légitimité institutionnelle des représentant du peuple, mais pour considérer qu’ils ne peuvent pas légiférer en ignorant ce que dit justement le peuple.

Cette légitimité du mouvement social s’exprime fortement dans les manifestations, avec l’idée que Sarkozy va la payer cher. Vous le pensez aussi ?

Bernard Thibault. Cela serait bien normal et c’est même souhaitable. Toucher aux retraites, c’est s’attaquer à un des piliers fondamentaux du contrat social. On ne peut pas prétendre chambouler un des piliers de la protection sociale en ricanant à la face des représentants des salariés.

L’intersyndicale se montre très solide depuis le début du mouvement. L’unité va-t-elle tenir encore ?

Bernard Thibault. Il faut d’abord prendre acte de la confirmation d’une conviction très ancienne de la CGT : on peut bousculer beaucoup de choses si les conditions de l’unité syndicale sont réunies. Et cette fois ci encore, l’unité syndicale est un des éléments moteurs de la formidable mobilisation que nous connaissons. Il est vrai qu’on arrive à un moment où peuvent apparaître entre les syndicats des divergences sur l’opportunité des possibilités de continuer l’action pour obtenir d’autres réponses sur l’avenir des retraites. C’est apparu lors de l’intersyndicale jeudi soir. A l’initiative de la CGT, le principe d’une nouvelle journée d’action a été retenu. La date doit être fixée lundi et se situera entre le 22 et le 26 novembre. S’il s’avérait impossible de continuer la bataille sur les retraites avec un engagement unanime de tous les syndicats, la CGT continuerait le combat avec ceux qui veulent le continuer. Pour nous, l’échéance principale est celle du 1er juillet 2011 à partir de laquelle les mesures que nous contestons entreront en application. D’ici là, nous avons largement la possibilité de créer le rapport de forces nécessaire pour obtenir l’ouverture de négociations.

Publié le samedi 6 novembre 2010