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LE HARCÈLEMENT MORAL COLLECTIF RECONNU PAR LES JUGES
Le harcèlement moral peut être collectif, généré par des méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique. Une jurisprudence nouvelle et salutaire, qui devrait aider à la lutte contre certaines conditions de travail anxiogènes. C’est une première: la Cour de cassation admet, dans un arrêt du 10 novembre 2009 que certaines pratiques managériales peuvent engendrer du harcèlement moral. Elle précise, dans un autre arrêt rendu le même jour, qu'il n'est pas nécessaire d'apporter la preuve de l'intention de nuire de l'auteur d'actes de harcèlement pour obtenir réparation. La question montait en puissance ces derniers temps, alimentée par une actualité brûlante (les suicides chez France Télécom) et de très nettes divergences chez les juges du fond (1) : Peut-il exister des formes collectives de harcèlement moral? L'exercice du pouvoir de direction de l'employeur peut-il dégénérer en harcèlement moral impliquant un groupe de victimes ? Où se situe la limite entre fermeté de la hiérarchie et le harcèlement ? La Cour de cassation vient de trancher la question. Oui, certaines méthodes de gestion peuvent être génératrices de harcèlement moral, donnant à ce dernier un aspect collectif. Mais les actes de harcèlement doivent avoir des conséquences individuelles pour être constatés par le juge, aussi l'action en justice demeure‑t‑elle propre à chaque salarié.
Des méthodes de gestion tyranniques et déstabilisantes Les faits donnant lieu à l'arrêt du 10 novembre dernier sont de facture assez classique: en 1989, M. Marquis est engagé comme agent d'entretien, gardien et chauffeur par une association gérant un centre d'accueil pour colonies de vacances. Deux ans plus tard arrive un nouveau directeur qui décide de cesser tout dialogue avec lui et ne communique que par l'intermédiaire de messages laissés sur un tableau ; en revanche, le directeur s'adresse directement au subordonné de M. Marquis pour lui donner des directives, marquant ainsi très nettement une mise à l'écart et un mépris de ce dernier. Une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres donnés dans l'intention de diviser l'équipe sont par ailleurs le lot quotidien des salariés de l'association. De tels agissements ne sont (évidemment) pas sans conséquences sur l'état de santé du salarié. Mis en arrêt de travail en 2003, Puis en 2004, il sombre dans un état dépressif profond. Le médecin du travail finit par le déclarer « inapte médicalement et définitivement à tous postes », mais précise qu'il "serait apte à un poste sans contact avec son directeur actuel". Son licenciement pour inaptitude physique intervient en 2005. Estimant que ce licenciement a pour origine le harcèlement moral dont il a été victime, le salarié saisit les prud'hommes d'une demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour préjudice moral. Avec succès. Le principe posé par la Cour de cassation est particulièrement clair: "Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent, pour un salarié déterminé, par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel". Les juges annulent donc le licenciement du salarié, dont le harcèlement moral et la détérioration des conditions de travail sont à l'origine directe (2). Dans cet arrêt, la Cour de cassation insiste particulièrement sur le point suivant : ce qui compte, pour caractériser un harcèlement moral, c'est que des actes répétés aient pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, à sa santé, ou à son avenir professionnel. Mais l'origine de ces actes peut être de nature diverse. Il peut s'agir d'actes visant un ou plusieurs salariés déterminés, mais aussi de pratiques collectives, inhérentes à des méthodes de gestion. Par exemple des circuits de décision opaques, des directives contradictoires, des exigences de productivité et de qualité inconciliables, une mise en concurrence des salariés, une surveillance continue, une grande flexibilité des horaires et des lieux de travail, etc. Certes, de tels actes portent préjudice à l'ensemble des salariés. Mais l'action en justice, pour aboutir, reste individuelle: le harcèlement moral ne peut être constaté qu'à l'égard d'un salarié (à la fois). Chaque victime doit donc faire état des conséquences des agissements constatés sur sa propre personne pour obtenir réparation. Ce qui n'empêche pas, bien au contraire, un regroupement des demandes pour montrer qu'il ne s'agit pas de cas isolés mais d'une politique délibérément mise en oeuvre au sein de l'entreprise. Les syndicats ont une part active à prendre dans la lutte contre le harcèlement moral collectif, car ce sont bien les conditions de travail qui sont en cause et qu'il faut changer. La jurisprudence prolifique de la Cour de cassation - plus de 100 décisions par an (3) - constitue un bon point d'appui, et notamment cet arrêt du 1er juillet 2009 qui pose une obligation de résultat pour l'employeur en matière de santé et de sécurité, particulièrement en ce qui concerne le harcèlement moral (4). Cette lutte, collective, doit également intégrer la prise en charge et le suivi des victimes. Pour Christophe Dejours, professeur titulaire de la chaire de psychanalyse-santé-travail au CNAM, l'isolement des salariés doit être évité à tout prix: «Le harcèlement au travail n'est pas nouveau, il est aussi vieux que le travail. [...] C'est la solitude qui est l'élément déterminant dans l'aggravation des pathologies du harcèlement et non l'évolution des techniques du harcèlement lui-même (5)».
Pas d'élément intentionnel à prouver Deuxième principe posé par la Cour de cassation dans un autre arrêt du 10 novembre 2009: il n'est pas nécessaire, pour le salarié victime de harcèlement qui saisit le juge, de démontrer l'intention de nuire du «harceleur». Dans cette affaire, une salariée de la société HSBC France, sous-directrice d'agence, est placée en arrêt de travail pour maladie entre 2002 et 2005. Elle saisit la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail pour harcèlement moral, demande rejetée par la cour d'appel au motif qu'elle ne démontre pas que les agissements en cause «relèvent d'une démarche gratuite, inutile et réfléchie, destinée à l'atteindre et permettant de présumer l'existence d'un harcèlement». Arrêt cassé par la Haute Cour: "Le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel (6)". Cet arrêt ne constitue pas en soi une surprise. Il est en parfaite cohérence avec la reconnaissance du harcèlement moral collectif et se fonde sur la définition légale du harcèlement (article L. 1152-1 du code du travail): les agissements répétés de l'employeur doivent avoir pour objet «ou pour effet» une dégradation des conditions de travail «susceptible» de porter atteinte au salarié. Ce que retiennent les juges, ce sont les conséquences des actes de l'employeur et leurs effets éventuels sur le salarié. Il faut toutefois reconnaître à la Cour de cassation le mérite de dire très clairement ce qu'il fallait lire entre les lignes du texte de loi. Cet arrêt met, par ailleurs, un terme à un débat doctrinal suscité par quelques formules malencontreuses utilisées par les juges (7). Du point de vue du salarié, cette mise au point est évidemment une bonne chose. Ceci dit, on voit mal comment il aurait pu en être autrement, sauf à vouloir ôter à la loi sur le harcèlement moral son effet utile. Compte tenu des difficultés insurmontables que cela présenterait sur le plan probatoire, exiger du salarié qu'il prouve l'intention de nuire de son employeur reviendrait, en pratique, à l'empêcher d'agir. De plus, une telle exigence serait contraire au mécanisme probatoire institué par l'article L. 1154-1 du code du travail, selon lequel le salarié doit uniquement établir des faits laissant présumer un harcèlement moral.
Le contrôle de la Cour de cassation Par quatre arrêts rendus le 24 septembre 2008, la Cour de cassation a décidé de reprendre en main le contentieux du harcèlement, en plein essor (8). Trop de divergences chez les juges du fond, notamment sur la reconnaissance du harcèlement moral collectif ou sur la nécessité d'apporter la preuve de l'élément intentionnel, justifient ce choix. Lorsqu'une affaire parvient devant elle, la Cour de cassation opère désormais un contrôle en plusieurs étapes. Dans un premier temps, elle vérifie que les juges du fond ont bien tenu compte de l'ensemble des éléments établis par le salarié. Deuxième étape, elle se prononce sur l'existence, ou non, d'une présomption de harcèlement. Si tel est le cas, elle examine ensuite les éventuelles justifications apportées par l'employeur. Puis elle décide, au final, si le harcèlement est constitué. Untel contrôle implique, pour les juges du fond, de motiver très précisément leurs arrêts et jugements. Mélanie CARLES - NVO 26 février 2010
(1) Voir "Avec la crise, revoilà le harcèlement", Liaisons sociales magazine, novembre 2009; et notre article «Harcèlements: un contrôle judiciaire plus strict", RPDS2008, n° 764, p. 401 (2) Cass. soc. 10 novembre 2009, n° 07-45321, Association Salon Vacances Loisirs; lire "Harcèlement moral: retour aux sources", bulletin Le droit en liberté (collectif national DLAJ), n° 29, janv. 2010 (3) Source: Liais. soc. magazine, janv. 2010, p. 88. (4) Cass. soc. 1er juillet 2009, n° 07-44198, CPAM de Montpellier. (5) Voir son article « L'évolution de la souffrance au travail est à rechercher dans l'évolution de l'organisation du travail », RDT 2010, p. 9. (6) Cass. soc. 10 nov. 2009, n° 08‑41497, Sté HSBC France. (7) Par exemple, "ayant retenu que le directeur avait sciemment harcelé moralement...", Cass. soc. 21 juin 2006, 05-43914, Association Propara. (8) Cass. soc. 24 sept. 2008, nm 06-45.747, 0643.504, 06‑45.579 et, pour le harcèlement sexuel, 06-46.517, RPDS n° 764, 2008, p. 401.
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